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« L’enlèvement » de Marco Bellocchio

mardi 7 novembre 2023, par Sébastien Bourdon

Lorsque l’enfant disparaît

Le dernier film de Marco Bellocchio porte sur un intéressant conflit de lois, même s’il ne fait que survoler cette question essentielle dans la narration : à Bologne, une triste nuit de 1856, une famille juive apprend de la maréchaussée nuitamment dépêchée chez elle qu’un de leurs nombreux enfants va leur être retiré pour être confié au Pape. Le motif en est que ce petit Edgardo aurait été baptisé, ce qui sidère ses géniteurs de stricte obédience judaïque, imaginant légitimement que si une telle chose s’était produite, ils en auraient été informés.

Las, leurs tentatives pour empêcher cet enlèvement, entre demande de pitié et agitprop locale, voire internationale, se heurtent au mur de la puissance des états pontificaux. Cette obstination de Pie IX (Paolo Pierobon) s’explique aussi et justement par le vacillement desdits états, entre menace de banqueroute et leur invasion prochaine (en 1870). Cet enlèvement inique n’est rien d’autre qu’une manière assez dégueulasse de marquer un territoire qui s’effrite.

C’est ainsi que la loi canonique prime sur celle d’une autre religion et même sur la loi des hommes (toute loi ne venant d’ailleurs que des hommes, ce qu’on a trop souvent tendance à oublier). Le Pape se réfugie derrière elle, avec un lapidaire « non possumus ».

Cette famille ainsi cruellement et injustement amputée va faire tous ses efforts pour ramener l’enfant parti pour Rome (Barbara Ronchi en mère courage et Fausto Russo Alesi en père infatigable).

On ne fera pas ici reproche à Bellochio d’avoir privé son film d’une puissance esthétique indéniable : la prise de vue est magnifique, et on est happé dès les premières secondes par l’intensité du moment, l’action frénétique étant de surcroît portée par une musique admirable (Arvo Pärt, notamment).

Le problème est que faire du cinéma ne se décrète pas et qu’ici finalement c’est plutôt l’art du feuilleton que développe le réalisateur italien. On se croirait chez Dumas, mais sans l’humour.

Surtout, on reste à distance de l’agitation des personnages et de leur tragédie, quand bien même on suit presque haletant les drames qui les frappent dans leurs pérégrinations.

Nombre de passages sont lourdement signifiants - notamment les parties oniriques - avec des parallèles évidents trop souvent assénés (la religion riche et ostentatoire de Rome contre le modeste shabbat familial bolonais).

La musique si belle soit-elle est très prégnante, et son invasion continue revient à nous faire mieux comprendre et ressentir des choses qui ne nous avaient pourtant pas échappées.

Il n’en reste pas moins après plus de deux heures de film une œuvre assez maîtrisée et passionnante sur le plan historique.

Sébastien Bourdon

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