Accueil > Littérature > « L’amante Anglaise » de Marguerite Duras - mise en scène de Jacques Osinski (…)
« L’amante Anglaise » de Marguerite Duras - mise en scène de Jacques Osinski - Théâtre de l’Atelier, le 31 décembre 2024
mercredi 1er janvier 2025, par
Train d’enfer
Dans plusieurs trains, on a trouvé des morceaux de cadavre, ceux d’une seule et même personne, Marie-Thérèse Bousquet. Grâce au « recoupement ferroviaire », on a découvert que tous ces trains étaient passés au dessous du pont d’un même bled, Viorne, et il fallut peu de temps sur place aux enquêteurs pour découvrir l’identité de l’assassin, Claire Lannes (Sandrine Bonnaire). La victime était sa cousine, sourde-muette hébergée au sein de son ménage depuis de longues années, y faisant office de gouvernante.
Qu’a-t-il pu se passer au sein du couple pour que l’épouse en arrive à de telles extrémités ? Dans la salle, au milieu du public, un homme dont l’identité et le rôle resteront flous (Frédéric Leidgens) va d’abord interroger le mari (Grégoire Oestermann), puis la criminelle.
Ce personnage énigmatique aux questionnements si pertinents, qui est-il s’il n’est ni juge, ni policier ? Un expert, un psy, ou tout simplement l’alter ego de Duras, fascinée par l’affaire et obsédée par la volonté de comprendre ?
Le mari, pour lequel on n’ouvrira pas le rideau, restera devant, au bord de la scène, sur une chaise. Les questions auxquelles il répondra sans se défiler ne relèveront que peu de l’investigation policière.
Ses réponses vont révéler le lent délitement d’un couple, et probablement le progressif glissement dans la folie de son épouse.
Le point commun des protagonistes est d’avoir rêvé de crime, mais Pierre Lannes ne sera pas allé au-delà du songe, espérant quand même réinventer son monde, mais sans qu’il ait à s’en occuper.
Lorsque au deuxième acte s’ouvre finalement le rideau sur un décor dépouillé, révélant les entrailles du fond de scène, s’avance Claire Lannes d’un petit pas décidé.
Les questions fusent et là encore, on cherche à comprendre, ce qu’elle a dans la tête, mais aussi la solution à une énigme plus pragmatique : tout le corps a été retrouvé, mais pas la tête, qu’en a-t-elle fait ?
Inquiétante et attendrissante, Claire se révèle un monstre complexe, qui a probablement toujours été cinglée et a vu dans le crime une forme d’aveu, presque un soulagement (mais le puzzle, à l’instar de la tête manquante, restera incomplet).
Comme toujours chez Duras, l’apparente simplicité du langage dissimule une hypnotisante étrangeté. Il ne faut toutefois pas imaginer une pièce absconse, et le léger décalage de l’écriture n’empêche pas une empathique plongée dans les profondeurs de l’âme humaine.
Le jeu très différent des comédiens, sobre chez Oestermann, plus théâtral chez Leidgens et énigmatique chez Bonnaire, fait un ensemble galvanisant justifiant très largement l’enthousiasme du public pour cette ultime représentation d’un 31 décembre 2024.
Sébastien Bourdon