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« Kolkhoze » d’Emmanuel Carrère
dimanche 12 octobre 2025, par
La vie de ma mère
Emmanuel Carrère, en délaissant la fiction, s’est notamment distingué dans deux exercices littéraires : documenter au plus près des histoires épouvantables (« L’adversaire », « V13 ») ou raconter sa vie, sur un mode quand même assez autocentré et le plus souvent douloureux (« Yoga »).
À l’occasion de la disparition de sa mère, Hélène Carrère d’Encausse, intellectuelle et femme politique, spécialiste de la Russie, il décide de se plonger - et nous avec - dans l’histoire de cette dernière et de sa famille.
Géorgienne longtemps apatride, passionnément française au point de devenir secrétaire perpétuelle de l’Académie Française, elle méritait bien qu’on s’attarde un peu sur elle et sa personnalité, quand bien même le livre digresse pas mal, finissant par tirer en creux le portrait… de son père.
Ce dernier, amoureux silencieux et discret d’une femme autoritaire et cassante qu’il n’aura jamais cessé de l’idolâtrer, quand bien même ce sentiment se sera en revanche vite éteint chez cette épouse impitoyable.
Cadre dans les assurances, il s’est amouraché de l’histoire familiale douloureuse de son épouse, passionné par la grande et petite histoire complexe de ses origines.
Le fils reprend en quelque sorte le flambeau, et on ne peut en vouloir à l’auteur de cette initiative tant cette famille hors norme, fort bien dépeinte avec le chaos du monde qui fut le sien en arrière-plan, se révèle drôlement attachante.
D’autant que Carrère met ici la juste distance, il ne raconte certes pas complètement une autre vie que la sienne, mais il déploie ses talents de conteurs pour nous plonger dans ce qu’il a vécu et ce qu’on lui a narré, en conservant une distance amusée et émue.
L’évocation de ses aïeux et ancêtres l’amène aussi à des réflexions sur l’histoire contemporaine, et notamment la Russie, territoire qu’il connaît fort bien.
Les dernières pages sont au niveau du plus beau livre de Simone de Beauvoir, « Une Mort très Douce » (1964), et c’est tout chose que l’on dit adieu à ces figures, devenues un peu nôtres par la magie de l’écriture.
Il en est souvent ainsi des livres que l’on dévore, on les achève à regret.
Sébastien Bourdon