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« Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » de Romain Gary (1975)
lundi 5 mai 2025, par
Toute Résistance est Futile
Jacques Rainier est un homme de son temps, si ce n’est que justement, son temps s’enfuit.
Quinquagénaire encore fringant - mais presque sexagénaire - ancien résistant, homme d’affaires redoutable et redouté, il coule des jours heureux dans les bras de sa compagne du moment, Laura, une jeune brésilienne de 37 ans sa cadette.
Las, tout semble se liquéfier, l’Europe est un mythe fragile, son entreprise coule, et chaque nuit d’amour ne compte plus que pour ce qu’il aura réussi à accomplir sous les draps et entre les cuisses, bien plus que pour la joie qu’il aura su en retirer.
Rainier prend conscience de sa déchéance prochaine et ne pense plus qu’à ça. La pulsion de l’Eros est devenue morbide, il se rêve même remplacé par un autre plus vaillant, pour ne plus souffrir de se voir ne plus être progressivement à la hauteur de l’amour qu’on lui témoigne.
Avoir su déjouer la Gestapo pour un jour sentir ses érections s’enfuir, oh sort cruel. Il n’y a pas de nivellement à tout cela, l’angoisse est la même : courir pour sauver sa peau et voir bien des années plus tard que la vie s’enfuit de soi, sans que cette fois l’on n’y puisse grand chose.
La force de Romain Gary est d’échapper au scabreux comme au geignard dans la description de cette déréliction.
Les angoisses de quéquette du protagoniste - alter ego évident de Gary - sont en effet tempérées par son humour et sa mélancolie, sauvant Rainier du ridicule et le livre de la ringardisation.
Ce n’est pourtant pas drôle la course vers le tombeau, si la peur de la mort se domine, la gestion de ses signes avant-coureurs est autrement plus cruelle.
Sébastien Bourdon
« Il ne s’agit pas d’un plaidoyer, dans ces pages. Ce n’est pas non plus un appel au secours et je ne mettrai pas ce manuscrit dans une bouteille pour le jeter à la mer. Depuis que le monde rêve, il y a déjà eu tant d’appels au secours, tant de bouteilles jetées à la mer, qu’il est étonnant de voir encore la mer, on ne devrait plus voir que les bouteilles. »