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Marche du Progrès
dimanche 26 janvier 2025, par
En entrant dans la laverie, lieu en principe dédié à l’hygiène et au bourdonnement continu des machines, se jouait un spectacle inhabituel et incongru : une élégante sexagénaire y classait patiemment des piles de livres, plus ou moins fatigués. Un rapide coup d’œil permettait de constater l’éclectisme de cette exhumation, les bouquins pour enfants jouxtant Kundera et Christian Jacq.
Amusé, je lui dis, « vous faites librairie aussi maintenant ? ». Cette dernière lève la tête et d’un air désabusé me dit : « oh, dans ce quartier personne ne lit, et de toutes façons c’est un loisir de vieux ».
Il y avait donc un être vivant derrière ce lavomatic - en principe dénué de personnel d’accueil - et il s’avérait que ledit humain cachait des piles de livres dans l’arrière-boutique.
Cette passion de la lecture n’empêchait pas cette femme d’être sacrément désabusée sur ce loisir, lui prédisant un futur aussi glorieux que celui de salarié non robotisé dans une laverie automatique.
Une fois ma couette enfournée dans la machine, et quelques mots encore échangés, je quittais les lieux.
Combien de temps encore le monde tel qu’il était ?
La musique et les films en version solide, si tout va bien, on pourra encore en trouver pendant cinq ou dix ans. Les plateformes absorberont ensuite définitivement le tout, ne diffusant que ce qu’elles voudront bien et enterrant ou modifiant le reste, selon leurs caprices.
Enfermer les gens l’a prouvé, ils ont très vite regardé les mêmes choses.
Et les livres, pour combien de temps encore ? Dix, vingt ans ? En tout cas, de plus en plus de livres, de moins en moins de lecteurs.
Quand j’étais étudiant, le boulevard Saint-Michel était plein de boutiques, aujourd’hui, si les gens ont toujours besoin de consommer tant et plus, ils préfèrent les centres commerciaux et la vente en ligne.
Le modèle économique dominant a voté pour ces nouveaux marchands (du temple), il n’y a guère de raisons d’imaginer que cela change.
Mais bon, sait-on jamais, derrière les robots étaient planqués des livres.
Sébastien Bourdon