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« Wake in Fright » de Ted Kotcheff (1971)

mardi 3 janvier 2017, par Sébastien Bourdon

L’Etre et le Néant

Le cinéaste danois Nicolas Winding Refn, grand admirateur de cette œuvre, la décrit comme le plus grand film existentialiste jamais tourné.

Un professeur d’école, John Grant (Gary Bond), contraint par l’Etat australien à exercer au fin fond de l’outback (arrière-pays aride), prend quelques jours de vacances à Noël et se retrouve plongé dans la violence ordinaire de ces contrées perdues.

Dans ce monde qu’il ne connaît pas, face à des événements qui, s’ils lui échappent, ne devraient pas le priver de sa capacité à raisonner, l’instituteur va arrêter des décisions qui vont le transformer, jusqu’à faire de lui, au moins quelques jours, une toute autre personne (existentialisme à deux balles, mais quand même).

D’aucuns pourraient dire que l’alcool n’est pas pour rien dans tout ce qui se passe à l’écran, mais ce serait oublier que la prise de boisson n’est nullement exonératoire de responsabilité.

Le traitement de l’histoire, s’il est indéniablement cinématographique (plans larges du désert, magnifiques plongées et contre-plongées sur les personnages…) est également presque documentaire. Le réalisateur canadien Ted Kotcheff (également auteur du premier « Rambo ») s’était en effet installé quelques mois dans ces landes désolées, étouffantes et brutales, avant de tourner, et ce afin de s’imprégner parfaitement de l’atmosphère des lieux.

De ce fait, nombreuses sont les images qui laissent à penser à une captation très fidèle d’une réalité masculine locale assez effrayante où, lorsque sont achevés les travaux pénibles sous une chaleur inhumaine, on se livre au jeu, à la chasse et à la bagarre, de préférence sérieusement imbibé de mauvaise bière. Le réalisateur ne juge pas, il constate, mais non sans une certaine fascination, à l’instar de son héros qui finit par s’immerger totalement dans les mœurs du coin.

Comme le dit l’un des personnages, incarné par l’immense Donald Pleasance, « tous les diables sont fiers de l’enfer ». Certains peuvent aussi en être les victimes consentantes mais épuisées, harassées de ces lieux et de leurs sordides traditions. L’alcool semble à la fois le moteur de cette construction infernale, mais aussi ce qui permet de s’intégrer, autant que faire se peut, à un monde aussi hostile, désertique et brûlant.

Evidemment, si la chaleur engendre la violence, elle provoque également d’autres poussées de fièvre, pas moins exaspérées. La réceptionniste de l’hôtel qui ne semble avoir pour seule activité que de se glisser des gouttes d’eau fraîche dans le corsage, les yeux mi-clos et dans une forme de total abandon, incarne une autre forme de résistance à la température. Mais cette attitude on ne peut plus érotique n’est guère susceptible de franchement rafraîchir ceux qui la regardent (ni elle-même, semble t’il). Font cinématographiquement écho à ce désir féminin qui ne se masque guère, les plans sur le corps nu et transpirant du héros dans sa chambre.

L’on retrouve également cette tension sexuelle chez une jeune fille dont le regard fermé et la jupe courte laissent percevoir immédiatement une dangereuse résignation aux assauts mâles. Il va de soi qu’il n’est prévu ici aucune rédemption et que les jeux de l’amour et du hasard locaux sont assez éloignés de l’aimable badinerie. Le dénouement sexuel sera d’ailleurs assez inattendu, même si en parfaite cohérence avec les événements qui ponctuent le film.

Ces pauvres hères ne cessent de faire violence aux femmes, aux hommes, leurs semblables maudits, et aux animaux. Il ne semble possible en ces endroits que de s’abandonner au plaisir trouble de la destruction et de la sauvagerie, dans les rires avinés.

Un réveil dans la terreur que l’on finit même par contribuer à créer, un retour à l’état primal dans un monde où la civilisation n’est semble t’il jamais vraiment arrivée. Il n’est d’ailleurs qu’une chose moralement inacceptable aux yeux de ces hommes, refuser un verre quand on vous l’offre.

Film éprouvant, inconfortable et brillant, qui ne rencontra guère de succès lors de sa sortie, mais qui mérite amplement d’être exhumé des tiroirs de l’oubli.

Sébastien

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