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« L’Empire de la Perfection » de Julien Faraut

mardi 19 juin 2018, par Sébastien Bourdon

Saint Anger

Les images de Mc Enroe à Roland-Garros ont pour moi - comme pour de nombreux autres - le parfum des débuts de l’été, quand s’achevait enfin l’année scolaire. Ce joueur qui semblait sous nos yeux parfois tant souffrir quand pour nous commençaient les beaux jours, la possibilité de bientôt séparer enfin notre dos du cartable.

Un peu plus tard, le tennis servira d’échappatoire aux révisions précédant les sempiternels examens, ce moment pressenti comme la possibilité de voir sanctionné ce qui toute l’année durant aura clairement été un manque crucial d’entraînement.

L’affection pour ce joueur américain est-elle liée à ces sensations estivales douces amères ? En avait-on réellement quelque chose à faire du tennis finalement ?

On l’oublie parfois, tant l’on aura surtout retenu du new-yorkais ses colères, que Mc Enroe a été numéro un mondial et qu’il n’est pas excessif en parlant de son jeu d’évoquer la perfection. Cette manière de pousser la balle, de sembler toujours en maîtriser la trajectoire, la vitesse et le lieu d’atterrissage, étaient d’une rare beauté dont les nombreux ralentis du film restituent la gloire éternelle.

Si on avait été un peu jeune pour le rock des 70´s (on sera en revanche idéalement placé pour les 90´s), on a quand même eu un très beau tennis dans les années 80. Et puis, ici, c’est Roland-Garros.

Il est vrai que dès la fin des années 70, le tennis en France était omniprésent. La place prise par ce sport dans l’hexagone est ainsi fort bien illustrée dans le diptyque d’Yves Robert « Un Éléphant Ca Trompe Énormément »/« Nous Irons Tous au Paradis » (Yves Robert - 1976 et 1977). Même un film de François Truffaut pouvait commencer dans un tennis-club de province (« La Femme d’à Côté » - 1981).

Pour s’interroger sur les rapports entre le sport et le cinéma, le documentaire ne cite pas les opus précités, il évoque plutôt Godard - « le cinéma ment, pas le sport » - et notamment « Amadeus » de Milos Forman (1984).

Entre des images d’archives (essentiellement des rushes des documentaires de Guy de Kermadec), le film promène donc ses réflexions esthétiques et philosophiques en partant de John Mc Enroe, de ce joueur qui faisait sur le cours tant de cinéma quand il était finalement plutôt metteur en scène.

En effet, John maîtrisait le temps, le lieu et le moment. Et dès que ce contrôle absolu lui échappait, tel Coppola ou Ford, il entrait dans une rage terrible, furieux des barrages imposés par un monde absurde. Il n’est toutefois pas impossible que ses mêmes colères participent à sa volonté de conserver la main-mise sur le scenario de ce qui, justement, se jouait.

Comme l’écrivait le critique de cinéma Serge Daney, « c’est l’avantage de la terre battue : elle crée de la fiction. »

On n’est donc pas obligés de vénérer la petite balle jaune et les rouquins colériques pour goûter à ce documentaire, tant l’exercice va au-delà, jusqu’à divinement marier le sport, le cinéma et même le rock n’ roll venu sublimer l’affrontement terminal de Lendl et Mc Enroe en 1984. Le groupe Zone Libre compose quelque chose qui se jouerait entre Black Sabbath et Sonic Youth sur poussière rouge et qui accompagne fort bien la rage d’un sportif qui voudrait détruire la caméra quand il n’en veut en réalité qu’à lui-même.

Sébastien Bourdon

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