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« Je ne suis pas là pour être aimé » de Stéphane Brizé (2005)
mercredi 22 mai 2024, par
Un cœur en automne
Par quel mystère n’a t´on pas pris plus tôt la mesure de ce merveilleux cinéaste qu’est Stéphane Brizé, on ne sait, mais finalement qu’importe car quel plaisir que de remonter dans sa filmographie.
Si certains peintres ont eu des périodes, il faut croire que cela ne leur est pas exclusivement réservé. En effet, Brizé enchaîne des phases créatives : après une première période plutôt sentimentale, devenu progressivement plus grave, il s’est ensuite attaqué de front au monde du travail, son dernier film semblant revenir vers ses débuts (« Hors-saison »).
Deuxième film du réalisateur, celui évoqué ici fait déjà montre d’une maîtrise certaine, sur le fond comme sur la forme, rare si tôt dans une carrière. C’est une histoire de réveil émotionnel, thème assez classique, mais traité avec suffisamment de délicatesse et de personnalité pour rester frais.
Dans une province hexagonale plus au Nord qu’au Sud, Jean-Claude Delsart (Patrick Chesnais), huissier de père en fils, traîne une déprime molle de début de cinquantaine. Divorcé amer, il visite tous les week-ends son père acariâtre (Georges Wilson), et accueille au sein de l’étude son fils qui préfère les plantes vertes aux constats (Cyril Couton).
On est dans une version chimiquement pure de l’incommunicabilité entre les êtres, dont la justesse de ton n’empêche pas la drôlerie.
Dans une sorte de sursaut vital inattendu, Jean-Claude s’inscrit à un cours de tango, et même si on est assez loin de « Didry Dancing », il va trouver dans cette marche improvisée à quatre jambes une forme tardive de libération. Évidemment, celle-ci ne peut venir que du cœur, ce dernier se décongelant avec la rencontre de Françoise (Anne Consigny).
Le cœur a ses raisons que la raison ignore, et va se nouer entre ces deux là ce sentiment qui fait le sel de la vie, dans des existences qui justement en manquaient (de sel).
Si dans la dernière partie du film, Brizé force un peu les fils de la narration - sans les rompre toutefois - le film se maintient dans les rails fragiles de la drôlerie et de la délicatesse.
Comme dans un tango, on va avec détermination vers quelque chose qu’on ne maîtrise pas, et c’est toute la beauté du geste.
Sébastien Bourdon