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Hellfest 2025

mardi 24 juin 2025, par Sébastien Bourdon

Jour 1 - 19 juin 2025

I must be dreaming it all

La chaleur est dantesque, et commencer le festival par Tar Pond sur la Valley permet de glisser un peu de ferveur fraîche dans l’atmosphère. Un début intense, au tic-tac d’un métronome suisse et glacé.

La foule des grands jours n’est pas encore là, la circulation est fluide, même l’enfer c’est mieux quand il y a moins de monde.

Cette journée nous fera rarement bouger de la Valley, et pour cause. Les norvégiens de Slomosa y sont attendus, avec leur renouvellement inespéré et inattendu du rock du désert, devenu chez eux « toundra rock ».

Alors qu’ils effectuent leur balance, ils en profitent pour nous livrer une sorte de pré concert décontracté et souriant qui aiguise encore un appétit déjà largement ouvert pour la prestation à suivre.

Que c’est beau l’enthousiasme et la joie sous le soleil. Ça se dissipe et tourbillonne dans le pit, un pur moment de rock n’roll.

On est bien avec une glace fraise basilic, et on enchaîne sur les mêmes lieux avec les intellectuels brutaux de Chat Pile.

Musique abrasive, mal aimable, mais à la force d’évocation extrêmement puissante. Le chanteur aboie et éructe, évoquant le Rollins Band, mais sans le passage à la salle de gym. Entre chaque titre, il évoque ses références cinématographiques hétéroclites sur l’enfer, ce groupe a décidément tout pour plaire. Set sans concession, extrêmement tendu, un bonheur continu au premier rang, sous les premiers rougeoiements du soleil couchant.

On reprend sans bouger la navette spatiale, suisse, celle des Monkey 3, pour un décollage tout en douceur, vers un monde encore meilleur, si une telle chose est possible.

La foule est littéralement extatique alors que se déverse sur elle une pluie de notes venues directement de l’espace intersidéral.

Petite gourmandise du passé, on s’offre Korn sur la Mainstage. Bien nous en a pris, la scénographie est superbe, et le diptyque d’ouverture proprement phénoménal : « Blind » et « Here to Stay ». Surtout si c’est suivi d’un « Got the Life » particulièrement vitaminé (et à cette heure, on est preneur d’un peu d’énergie).

Une mécanique, si rutilante soit-elle, reste une mécanique, nous amenant à revenir sur nos terres (la Valley donc), pour écouter les doomsters anglais d’Orange Goblin.

Retour de l’âpreté et de la poussière pour un hard rock working-class à l’ancienne. Après trente ans de bons et loyaux services, le groupe s’apprête à raccrocher les gants, donnant une touche mélancolique à leur ultime prestation à Clisson (même si le fait qu’ils ne soient jamais sortis de la deuxième division s’explique).

La consommation active d’eau nous ayant permis de tenir jusque-là, on ne s’arrête pas en si bon chemin et on opte pour les atmosphères intenses et éthérée d’Alcest. Le décor est floral, et si l’on excepte une basse qui vous donne l’impression de vous coller des tartes vibratoires, l’ensemble est gracieux, bande-son ad hoc pour entrer plus profondément dans la nuit.

Jour 2 - 20 juin 2025

Look at Me, I’m the Angry American

Ce qu’il y a de bien avec le deuxième jour c’est que la température ne baisse pas et qu’on est encore plus en forme que la veille.

Le Hellfest est un territoire mouvant, chaque année se déplacent les lieux, s’ajoutent des fantaisies architecturales et s’étend l’emprise au sol du festival.

Ainsi cette année de la nouvelle scène Purple House, abritant des jeux d’arcade, un coiffeur et en son centre, une minuscule cage au sein de laquelle jouent des formations prometteuses. Logique donc d’y retrouver des connaissances, et notamment les excellents Witchorious. Un concert en club au cœur du plus grand festival de France, sacré luxe.

Leur set fut tellement exceptionnel qu’on s’est interrogé : Witchorious sera-t-il le Slomosa de la journée d’hier, le premier et le meilleur concert du jour ? Le secret des deux groupes réside peut-être dans le fait d’ajouter une fille à la basse.

Dans un style veste à patches, cuir et clou, thrash metal de bonne facture, les canadiens de Three Inches of Blood font fort bien le boulot sous l’Altar, avec même des courants d’air, franchement, c’est formidable.

Sur la MainStage, The Cult, toujours grognons, mais sacrément affûtés. Il est près de 19 heures, on cuit comme cochon sur la braise, et les anglais résistent vaillamment à un climat qui ne doit pas leur être familier. La setlist est audacieuse et inattendue dans un contexte festivalier, mais le surgissement de leurs hymnes les plus célèbres fait toujours effet (« Rain », « Wild Flower » etc.).

Ian Astbury, anglais convaincu d’être amérindien, est déguisé en samouraï (plus la sauce que le guerrier), harangue la foule et finit par une prière pour la paix. On l’a trouvé en forme.

Sur la Valley, on ne quitte pas la perfide Albion avec Crippled Black Phœnix. La proposition musicale est intéressante, mélangeant le gothique anglais avec quelque chose de plus tribal et mélancolique. Ça fait le job, et on décide que de toutes façons, on va manger, vivre et dormir au pied de cette scène, alors que le ciel commence à rougeoyer des derniers feux du jour. Délicat et magique.

Pentagram ou l’âge qui ne compte pas, voire qui fait rire. Pendant américain de Black Sabbath, ce groupe n’a pas connu le même succès, restant aux abords périphériques de la célébrité, surplace s’expliquant surtout par la personnalité borderline de leur leader, Bobby Liebling.

Mais ce soir avec son groupe tout neuf - tous les autres sont partis - les 72 ans du chanteur passeront crème pendant un concert particulièrement tonique, marqué de fulgurances musicales.

Les pitreries à la limite de la gênance du leader ne gâtent rien, au contraire, cela ajoute drôlerie et piquant au groove diabolique de Pentagram.

Dans la vie, il faut parfois ne plus bouger et laisser venir. Surtout lorsque l’on doute peu de ce que sera formidable ce qui adviendra.

Hermano, groupe trop rare à tous égards, grimpe sur la scène avec la ferme intention de bouffer la nuit. John Garcia, chemise impeccablement repassée et cheveux gominés, au milieu de son groupe de carnivores affamés, renvoie la concurrence à ses devoirs de vacances.

Le sable avance inexorablement, les guitares ondulent telles des serpents à sonnettes. Face à ce spectacle de désolation, John Garcia est le coyote qui hurle aux étoiles avant de nous rendre à Morphée.

Jour 3 - 21 juin 2025

You’ve got another thing comin’

Les quelques misérables gouttes de pluie tombées au matin n’ont rafraîchi en rien l’atmosphère. Il est possible que cette température soit interdite par la Convention de Genève, je compulserai ça dans les ouvrages ad hoc en rentrant.

Sous la Temple, Tryglav, tout de suie peinturlurés, jouent un black metal glacial avec une force de frappe qui fait plaisir à l’heure du déjeuner. Ca n’a pas fait fondre la banquise, mais a accéléré notre liquéfaction.

Les suédois de Freak Kitchen sur la MainStage pratiquent un heavy rock vaguement fusion et souriant. Le guitariste chanteur porte un bonnet, et ça c’est brutal.

D.A.D. enchaîne sur la 2, et c’est tellement bien que l’on regrette de ne pas connaître par cœur pour chanter avec la foule en liesse.

Spectral Wound sous la Temple envoie un set sans air - de toutes façons il n’y en a pas - de pure sauvagerie nordique. On découvre de chouettes trucs sous la glace avec le réchauffement des pôles.

Comme si on n’avait pas assez chaud on se rue voir les Dragunov sous la Purple House : concert aussi grand que la salle est petite (et la formation réduite, ils sont deux). Dans un quasi obscurité encagée, les musiciens n’épargnent rien, ni leurs instruments, ni le public, ni eux-mêmes.

Le circle pit final autour d’une cage, voilà qui est fait.

Le soleil persiste à ne pas dire son dernier mot - le Hellfest se joue à l’heure d’été - et il darde sur nous ses derniers rayons pendant que joue Windhand sur la Valley. Un mur de basse s’est abattu sur nous, sur lequel vocalise d’une créature d’outre-tombe. Au bout de trois titres, une impression tenace d’ennui s’accroche et on s’enfuit. La vie est trop courte pour s’ennuyer, surtout ici.

The Ocean sous l’Altar se révèle autrement plus enthousiasmant, avec une foule au diapason. La musique ne se pose jamais, saute ça et là, éveillant sans cesse la curiosité.

Pour rester dans l’exigence esthétique rien de tel que Deafheaven. Black metal de campus universitaire, le groupe vous saisit par l’énergie immédiatement déployée. Le chanteur hurle comme un possédé sur une avalanche de son proprement saisissante de beauté. Tout juste pourrait-on leur reprocher une efficacité gymnastique américaine, privant l’ensemble d’un peu de fragilité brutale, celle des garçons hirsutes et couverts de peinture noire et blanche.

Parce qu’il y a toujours une tête d’affiche qui s’impose, cette année ce sera Judas Priest. Le Metal God - du haut de ses 73 ans avec 56 ans au service de la cause - ne déçoit jamais et ce n’est pas ce soir qu’on l’y prendra.

C’est du métal dans sa plus pure acception, c’est brillant, vif et efficace, et c’est inoxydable.

Le troisième chapitre va se clore au meilleur endroit du monde moderne connu, la Valley, avec les Russian Circles.

Le trio ne s’embarrasse pas de paroles, dans sa mélodie comme pour le reste, l’implication dans les instruments et la musique est totale. Ils prennent place sans rien dire, et esquisseront seulement quelques ponctuels signes de la main en guise de remerciements et saluts.

Leur art d’une beauté proprement stupéfiante résonne en nous comme l’intensité dramatique mise en notes. Sorte de post rock qui aurait durci le ton, en tension continue, se relâchant soudainement dans de véritables déflagrations sonores libératrices.

Il n’y a plus de fatigue des corps, les pensées parasites s’estompent, il ne reste que la musique et la nuit.

Jour 4 - 22 juin 2025

A beautiful weight on my heart

On nous avait promis un rafraîchissement - pas la boisson, la température - on va dire que ce n’est pas flagrant.

On ouvre ce dernier jour (déjà ?) avec Messa qu’on attendait… comme le messie. Ces italiens du Nord offrent probablement la plus belle proposition discographique du moment, balançant récemment encore un monument absolu de beauté (« The Spin »), dont on rêvait d’entendre en vrai les sublimes mélopées.

La délicatesse ouvragée avec laquelle le quatuor restitue in vivo sa musique nous plonge dans des transes envoûtantes. C’est presque trop émouvant pour être réel. La cohésion sensible qui lie ces quatre là est un bien joli vaisseau pour nous autres pauvres mortels (mention spéciale à Sara Bianchin au chant et au guitariste Alberto Piccolo). L’Italie nous écrase avec la beauté depuis des millénaires, ce n’est pas avec ce groupe que cela va s’arrêter.

Kylesa, découverts par nos services au Hellfest 2009, fait cette année son retour après un hiatus. Même avec un seul batteur, la sauvagerie est intacte, Laura Pleasants, guitare en main, chante et hurle toujours aussi divinement. Seul bémol, un son un chouïa trop fort - oui, c’est possible - qui écrase un peu l’ensemble.

La suite se fait un peu plus morcelée, on attrape au vol quelques bouts de diverses choses, la fin est proche, et tout prend une saveur particulière avant la clôture des festivités.

Le soleil qui ne nous aura pas quittés, la poussière, les mines souriantes et fatiguées, on sent déjà poindre la mélancolie.

Picorons un peu : Unleashed sous l’Altar, du death metal, c’est sans danger. Furie rythmique, ralentissement, solo de guitare endiablé (forcément), et on reprend à toute berzingue. Le tout sur fond de références vikings, pour faire bonne mesure.

Cypress Hill va se produire sur la MainStage, groupe de hip-hop old school qui a toujours fricoté avec la scène metal, donc tout à fait à sa place. Reste qu’un DJ au soleil couchant, la scène n’en est pas moins rare en ces lieux.

Ceci posé, on ne s’attardera point, afin de se poser aude la scène à la Valley, pour jouir pleinement de l’ultime gros morceau du week-end, Jerry Cantrell.

Alternant titres de sa - remarquable - carrière solo et d’Alice in Chains, le guitariste chanteur, épaulé vocalement par Greg Puciato (excusez du peu), arrache en nous le frisson, happant nos âmes.

Tout le monde chante à l’unisson, la vie, l’amour, la mort, et on quitte la Valley les jambes flageolantes, le cœur en miettes, mais terriblement entiers.

L’horloge est formelle, les portes bientôt vont se refermer. Une illumination rougeoyante nous porte alors jusqu’à la Warzone où Knocked Loose éructe du riff et du cri.

À distance raisonnable, on apprécie la gigantesque bagarre pour rire qui se joue devant nous, avant de quitter les lieux sur fond de feu d’artifices.

Les gens du Hellfest sont finalement comme ceux que l’on croise dans le métro, certes un peu de noir déguisés, mais beaucoup plus souriants.

Sébastien Bourdon

Messages

  • Merci Sebastien pour ce nouveau compte rendu du Hellfest toujours aussi bien écrit qui me fait regretter de ne pas être sensible à cette musique...
    il faudrait que j’essaie...au moins de comprendre...
    On espère te voir bientôt,au moins avant notre départ à Dompierre
    on t’embrasse
    maman

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