Accueil > Francais > Cinéma > « François Truffaut, le scénario de ma vie » de David Teboul

« François Truffaut, le scénario de ma vie » de David Teboul

mercredi 26 mars 2025, par Sébastien Bourdon

Child is father of the man

On a déjà beaucoup glosé sur François Truffaut, en livres comme en documentaires, alors quoi de neuf ici ?

Plus que de l’information réellement inédite, c’est un point de vue qui est ici proposé : partant d’un projet d’autobiographie jamais achevé, est développée l’idée que Truffaut a mis dans ses films encore plus de sa vie qu’on ne l’imaginait.

Le réalisateur, sous une apparence courtoise et réservée, dissimulait un être fiévreux et obsessionnel et c’est dans son art qu’il rangea méthodiquement ce qui le consumait au quotidien.

On pourrait ainsi résumer sa vie, son œuvre à deux axes, l’enfance et les femmes (la mort aussi, venue d’ailleurs trop tôt le concernant, et les livres).

S’agissant de l’enfance, elle est de manière évidente traitée dans « Les 400 Coups » (1959), « L’enfant Sauvage » (1970) ou « L’argent de Poche » (1976). Mais aussi par touches discrètes dans d’autres opus, comme la chambre d’hôtel des amants de « La Peau Douce » (1964) qui porte le numéro 813, renvoyant aux aventures d’Arsène Lupin (Maurice Leblanc), une des lectures de chevet du cinéaste.

Les explications tardives sur ses origines troubles - un père qui n’était pas le sien - l’interrogeant nécessairement sur son identité, se retrouvent dans l’inquiétude exprimée par un Jean-Pierre Léaud fébrile qui, dans un « are you talkin’ to me  » avant l’heure, interroge le miroir par la répétition presque panique de son patronyme de cinéma : « Antoine Doisnel » ad lib et pour l’éternité (« Baisers Volés » - 1968).

Truffaut voulait-il en filmant se venger de sa race, pourrait-on dire en paraphrasant Annie Ernaux ? Sa lettre pleine de rage glacée adressée à son beau-père qui s’était offusqué des « 400 Coups » pourrait le laisser croire. Elle donne en tout cas à penser que, bravache, François profitait de son entrée dans le monde du cinéma pour prendre sa revanche sur une enfance de merde.

C’est donc l’histoire d’un type qui se cherche et se retrouve dans ses propres films, en tentant d’exorciser son passé.

L’exercice a évidemment ses limites, ainsi des personnages féminins, objets brûlants, mais un peu désincarnés, réduits à des figures de projection, écrans sur lesquelles le réalisateur affiche ses fantasmes et frustrations : de sa rage contre sa mère - femme qui aimait les hommes (mais pas trop son fils) - transformée chez Truffaut en un besoin frénétique de plaire et de conquérir les filles, pour rattraper la blessure originelle.

Les femmes manquent alors parfois de chair ayant le plus souvent la nature d’apparitions, ainsi de Catherine Deneuve dans « La Sirène du Mississippi » (1969), sans même parler de la multitude de créatures de rêve croisées dans « L’homme qui aimait les Femmes » (1977).

Mais ce serait oublier ces figures moins romantiques ou littéraires, incarnées par Françoise Dorléac («  La Peau Douce » - 1964) ou Nathalie Baye (« La Nuit Américaine » - 1973, « La Chambre Verte » - 1978), plus terre-à-terre et lucides.

François Truffaut n’aura jamais cessé de regarder les femmes comme un petit garçon blessé et fasciné qui ne comprend pas pourquoi elles se dérobent sans cesse à lui, comme à sa compréhension. On pourra trouver ce regard daté, mais il en a fait œuvre cohérente et résistante au temps.

Sébastien Bourdon