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« En Corps » de Cédric Klapisch

mardi 14 juin 2022, par Sébastien Bourdon

Alors on danse ?

Le film s’ouvre sur le frémissement d’un ballet sur le point de commencer, la salle se remplit quand les coulisses ne sont que bruissements inquiets et impatients des petits rats. La caméra s’attache aux pas d’Elise (Marion Barbeau), amoureuse et pleine de grâce et qui sortira pourtant de cette première à l’opéra le cœur brisé et la cheville en miette.

Interdite provisoirement d’amour et de danse, attention, c’est là que tout de suite ça dérape : Elise va devoir « se reconstruire »…

Ainsi, et après ce début cruel et pourtant tout en délicatesse et légèreté, nous est infligée la dialectique pauvre du développement personnel : c’est l’âme qui guide le corps, c’est à chacun de reprendre en main son destin, si tu veux, tu peux etc.

Pour faire passer cette scie capitaliste contemporaine nous sont forcément infligés des dialogues indigents jusqu’à la gêne.

La pauvreté du discours se marie ensuite fort bien avec une imagerie publicitaire sans réelle intention cinématographique, si ce n’est une esthétique toc.

Les plans de groupe, les ensembles humains à l’image, semblent invariablement issus d’un spot télé nous vantant les mérites d’une banque ou d’une mutuelle. On s’attend à ce que surgisse une voix off déclarant vouloir « faire du ciel le plus bel endroit de la Terre » où que les danseurs affirment tout à coup que de toutes les assurances c’est la MAAF qu’ils préfèrent.

Les comédiens, à l’exception rare de quelques uns dont l’actrice principale aussi gracieuse que juste (Marion Barbeau) jouent comme des cochons (la palme revient sans doute à Muriel Robin, mais dans un autre genre François Civil est assez abominable, et on est en train de perdre Piô Marmaï).

Klapisch persiste - et à la limite pourquoi pas - à filmer un âge qui n’est plus le sien depuis longtemps. Ses tentatives de rester dans le coup, entre danse hip hop et mort du patriarcat, ressemblent plus à une addition de poncifs qu’à une lecture pertinente des enjeux contemporains.

Mais le grand mystère de cette œuvre lourdingue est qu’elle se penche sur une fabuleuse compagnie de danse contemporaine, celle menée par Hofesh Schechter (c’est la bonne idée du film : perdre la danse classique en se brisant et retrouver le corps et la foi par la danse contemporaine).

Comment une troupe pouvant donner des spectacles aussi intenses, voire violents (« Political Mother ») peut elle servir de socle à tant de mièvrerie, c’est surprenant. Mais c’est ce qui permet aussi au film d’avoir de réels moments d’intensité, entre répétitions et représentations. Un plan magnifique marque ainsi l’intrusion de cette puissance artistique dans un film indigent : Denis Podalydes, père de la danseuse et avocat déconnecté, en figure fantomatique de fond d’écran, comme noyé par la masse des danseurs frénétiques passant et repassant devant lui.

Sébastien Bourdon

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