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« Règlement de Comptes » (« The Big Heat ») de Fritz Lang (1953)

mercredi 16 mars 2016, par Sébastien Bourdon

Des Femmes qui Tombent

Le film s’ouvre par un suicide à la suite duquel s’enchaînent immédiatement de multiples évènements, presque tous aussi déconcertants les uns que les autres. La veuve n’est pas écrasée par la douleur, loin s’en faut, le suicidé était un policier véreux, l’ordure mafieuse copine avec l’élite locale, bref, il y a quelque chose de pourri au royaume d’Amérique. Lang expose tout cela à une vitesse record et avec une fluidité extraordinaire, tant et si bien que nous comprenons tout ce qui se passe, sans la moindre difficulté. Quelques éléments symboliques nous échapperont sans doute ça et là, mais qu’importe, l’ensemble est passionnant et y revenir ne l’est pas moins.

Fritz Lang a fui l’Allemagne nazie en 1934 et son constat sur l’Amérique quelques vingt années plus tard n’est pas glorieux : le capitalisme engendre une société corrompue par l’argent, réalité clairement exprimée par l’infâme Lagana dans son aspiration à appartenir à la grande bourgeoise traditionnelle, et confirmée par le souhait de la veuve en réalité joyeuse de ne surtout pas perdre les avantages pécuniaires que le détournement d’informations effectué par son mari lui procurait.

Le réalisateur allemand n’est pas du genre à étaler ses convictions lourdement, aussi, à chacun de voir ce qu’il décrit en filigrane et, quitte à ne pas être intéressé par de telles évidences, le spectateur moyen ne pourra de toutes façons pas échapper à un cinéma aussi maîtrisé à la narration pas moins habile. Lorsque l’on sait que le film a été tourné en quinze jours, le respect s’impose, mais il ne faut pas se méprendre, ce qui permet au projet de tenir aussi bien sur ses bobines, c’est la préparation minutieuse dont il a fait l’objet avant le tournage.

Nombreux sont ceux qui ont écrit sur Fritz Lang, cinéaste à la filmographie essentielle, aussi, probablement moins savant et pas forcément talentueux, on va ici se focaliser sur une apparition à l’écran, celle de l’actrice Gloria Grahame. On fait sa connaissance en la trouvant voluptueusement assise sur un sofa, dans une attitude d’un érotisme proprement hallucinant. Elle porte ce qu’on imagine être des chaussures réservées à un déplacement en intérieur et qui ne dissimulent pas grand-chose de jolis pieds délicatement arqués. Sa jambe gauche croise sa jambe droite, le genou levé, les cuisses étant à moitié révélées par un déshabillé blanc, vêtement par ailleurs fendu au niveau du torse, laissant espérer au spectateur un mouvement qui en révélerait plus, évènement qui ne se produira évidemment pas. Une main tient un combiné de bakélite noir, quand l’autre passe négligemment dans des cheveux mordorés. Le regard est perdu dans le vague, elle converse mais n’est pas réellement présente, si ce n’est aux yeux de spectateurs sidérés. Cette femme est incroyablement belle, subtilement vulgaire, mais elle ne se laissera pas enfermer dans un quelconque cliché de roman noir.

Dans ce film, les femmes ne sont en effet pas franchement potiches, ni forcément fatales. Mais il peut leur arriver d’être victimes de la brutalité des hommes. Le film est comme ponctué de ces violences masculines inéluctables.

Cette image multiple et moderne de la gent féminine se retrouve également dans le couple formé par le héros (Glenn Ford) et son épouse (Jocelyn Brando). Leurs scènes communes semblent chorégraphiées tant leurs déplacements et enlacements au sein du foyer sont empreints d’une indéniable grâce amoureuse. Cette vision presque enchanteresse de l’exécution des tâches domestiques est de nature à réconcilier avec la vie conjugale.

Mais revenons à Gloria Grahame qui ressemble quand même surtout à une magnifique source d’ennuis (pour elle-même comme pour autrui). Maîtresse d’une brute mafieuse (Lee Marvin), elle se réserve la possibilité d’exister dans ce mâle univers par sa beauté et une forme de morgue permanente («  You’re about as romantic as a pair of handcuffs »). Fritz Lang réserve même dans l’intérieur filmé une place à part à cette redoutable créature, cette dernière trouvant ainsi un espace où se tenir, libre et arrogante, dans un entre deux pièces de l’appartement, mais qui serait son territoire, avec miroir et téléphone.

Surtout, bien moins frivole qu’il n’y paraît, elle se transformera elle aussi en furie vengeresse d’autant plus qu’elle aura été physiquement abîmée. Pour se débarrasser une fois pour toute des clichés qui leur collent au train, les femmes du film devront parfois aller jusqu’à mourir. Les héros, meurtris, retourneront quant à eux au bureau le lendemain matin, la mine grise et le pas lourd de devoir affronter plus seul encore un monde absurde et violent.

Sébastien Bourdon

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