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« Contre le Développement Personnel » de Thierry Jobard

dimanche 4 avril 2021, par Sébastien Bourdon

La Tyrannie du Bien-être

Mettre des mots - choisis - sur un problème pour mieux s’en saisir, c’est sans doute de cette incapacité que souffre le plus l’époque.

Cet égarement du verbe amène efficacement les âmes perdues vers la charlatanerie, car elle présente bien.

Et c’est ainsi que le français, par ailleurs plus gros consommateur de psychotropes de la planète, se jette aujourd’hui sur les livres de « développement personnel » (DP). A en croire le marketing agressif de cette « littérature », les solutions pour à peu près tout nos problèmes seraient en nous, il faudrait juste apprendre à les chercher (et donc à les trouver).

Comme si pour la majorité, vouloir c’était pouvoir, quand c’est une fiction aussi mensongère que destructrice. En effet, si je n’y arrive toujours pas, c’est donc que je suis un incapable irrécupérable. Bon pour la casse, sociale le cas échéant.

Après un court mais savant développement sur la philosophie, la vraie, et la recherche du bonheur, Thierry Jobard plonge sa plume dans la vie des entreprises. En effet, c’est par le management (autrefois appelé « chef ») que le développement personnel y a fait son nid, et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.

Car, partant du même principe de capacité à s’accomplir vanté par le DP, on donne au salarié une pseudo « autonomie » pour lui permettre de remplir des « objectifs », excluant la notion de travail en commun. Cela donne cette novlangue d’entretien de fin d’année où l’on va par exemple reprocher à l’employé de ne pas être « force de proposition ». Il ne s’agit plus de « faire » mais « d’être », et si ça ne marche pas, on en devient le seul responsable.

Reconnaissons ici une forme assez redoutable d’autocontrôle dans la société de surveillance qu’est déjà nécessairement l’entreprise. De surcroît, demander à l’employé de compter d’abord sur lui, cela évite également les regroupements d’intérêts et de lutte.

De manière plus globale, le DP fabrique des individus obnubilés par eux-mêmes. L’essentiel étant de pouvoir continuer à consommer (consumer ?) dans une joie frénétique.

Avec le DP, on esquive les autres (« L’enfer c’est les autres », en ce qu’ils vous renvoient une image potentiellement dégradée de nous-mêmes).

Cette foutaise qu’existerait une invariable richesse intérieure ignorée que l’on aurait qu’à exhumer pour s’accomplir se révèle, selon l’auteur, un véritable danger pour la possibilité de faire société démocratique (« repli, indifférence, auto contrôle et servitude volontaire ») : « Vous obéirez d’autant mieux que vous vous croirez libre ».

Avec beaucoup d’érudition et de pertinence, force est de constater que la démonstration est aussi lapidaire qu’implacable.

Tant qu’à bouquiner et vous accomplir, en sus de cet essai, lisez plutôt un bon roman.

Sébastien Bourdon

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