Accueil > Francais > Cinéma > « Compartiment 6 » de Juho Kuosmanen

« Compartiment 6 » de Juho Kuosmanen

mercredi 1er décembre 2021, par Sébastien Bourdon

En route pour la joie

« La vie privée est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, pas de temps mort. Les films avancent comme des trains dans la nuit » disait Francois Truffaut dans « La Nuit Américaine » (1973). Celui dont il est ici question poursuit justement sa trajectoire sur les rails d’un Moscou-Mourmansk. Un « road-movie » donc, mais en chemin de fer.

L’histoire est assez banale, la rencontre de deux êtres que tout sépare et qui mystérieusement finissent par être attirés l’un vers l’autre. Guère originale certes, mais nombre de chefs d’œuvre se sont construits sur une telle trame (« Une Journée Particulière » - 1977 - d’Ettore Scola pour n’en citer qu’un), et celui-ci, avec élégance et modestie, vient s’ajouter à la liste.

Alors qu’elle s’apprête à embarquer vers le grand Nord russe pour aller étudier des pétroglyphes (peintures rupestres sur roche aussi anciennes que rudimentaires), on s’attache aux pas de Laura, finlandaise et étudiante en archéologie (Seedi Haarla). Gauche et mal à l’aise dans un appartement moscovite rempli de savants esprits, elle semble un peu chercher ses marques. Le voyage devait se faire à deux, avec sa petite amie russe, mais Laura ira finalement seule, pressentant dans cet abandon en rase campagne une séparation prochaine.

Dans le compartiment qui donne son titre au film, elle se trouve devoir partager les deux milles kilomètres à venir avec Ljoha, un jeune homme qui débute le voyage avec une imprégnation alcoolique certaine (Yuriy Borisov). Dire qu’elle n’est d’abord guère emballée par cette compagnie est un doux euphémisme. Mais Ljoha est têtu et va chercher la jeune femme dans ses retranchements.

Si le train traverse de grands étendues, l’espace de la rencontre a l’étroitesse des wagons et c’est tout un art que de filmer de si près des gens d’abord psychologiquement si éloignés. Impossible de ne pas être encombré d’un autrui qu’on ne souhaite pas dans ce compartiment, finissant par être même encombré de soi-même, jusqu’à vouloir être ailleurs.

L’histoire de cette connivence à venir a le rythme lent du long voyage, adoptant sa suspension dans le temps. La progression dans l’espace confiné du train, la nuit qui succède au jour, les arrêts en gare, et petit à petit, les caractères qui se rapprochent. Et quand la courte absence de l’un paraît soudainement incongrue à l’autre, est magnifiquement palpable à l’image la compréhension que quelque chose se noue entre les protagonistes (sans que ce sentiment ne soit d’ailleurs jamais précisément défini, ni cousu de fil blanc).

Cette épopée dans le froid et la neige se fait dans un état de grâce continu. L’air de ne pas y toucher, Juho Kosmanen fait montre d’une écriture subtile, avec une parfaite maîtrise de la direction d’acteurs, comme de la photographie et du cadrage (si loin, si proche).

Évidemment, comme Laura et Ljoha, il faut à un moment descendre du train, mais c’est comme neufs, dans un retour à la joie enfantine et ce n’est pas le moindre des charmes de ce film.

Sébastien Bourdon

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.