« But Here We Are » Foo Fighters

Dave Grohl est agaçant. Il est devenu une sorte de condensé des valeurs du bon père de famille, déserté par toute forme de cynisme ou de second degré. Star mondiale, musicien accompli et versatile, excusez le cv : batteur de Nirvana devenu guitariste chanteur des Foo Fighters, soit membre plus qu’essentiel de deux des formations les plus maousses de l’histoire du rock n’roll (un peu comme si un Beatles avait rejoint les Stones), mais également featuring guest de luxe chez des vedettes de bon goût, des Queens of the Stone Age à Tenacious D, en passant par Cat Power.

Au début il avait la tête d’un éternel adolescent qui aurait soigné son acné en fracassant des sets de batterie, maintenant, il conserve physiquement une jeunesse apparente sans ostentation (à 54 ans), le cheveu long, la barbe grisonnante et un sourire continu sur des dents éclatantes de blancheur.

Son bouquin, « The Storyteller » - aussi pénible qu’un manuel de développement personnel, « la vie est dure, mais il faut aller au bout de ses rêves » - bourré d’anecdotes sur sa vie avec des célébrités de qualité comme Paul Stanley (Kiss) ou Paul Mc Cartney, est crispant : à un moment ça va bien, la musique bruyante, ce n’est pas le thé au country-club de Pasadena, c’est le sexe et les opiacés.

Si on y ajoute ses concerts marathons des Foo Fighters, avec reprises de bon goût en compagnie de leurs auteurs (de Rush à… Rick Astley) et les barbecues organisés pour les sans-abris, on frise l’overdose, mais pas celle qu’on imagine généralement chez les musiciens.

Ainsi, de fasciné que l’on ait pu être du musicien et de l’homme, on finit régulièrement par se lasser de cette bonhomie jet-set, de plus en plus déconnectée de l’urgence rock n’roll.

La vie a pourtant peu épargné ce garçon, et même si cela crispe, force est de constater que c’est par l’épreuve qu’il redémarre, ainsi des Foo Fighters, nés de la mort de Kurt Cobain.

En mars 2022, mourrait brutalement dans sa chambre d’hôtel Taylor Hawkins, batteur des Foo. Frère d’armes de Grohl, ce décès était nécessairement d’une grande violence pour ce dernier, au-delà même de l’aspect du déjà tristement vécu, tant ces deux là semblaient soudés (Hawkins était le batteur du batteur, ce n’est pas rien).

Était sorti peu avant le plus mauvais album des Foo Fighters, « Medicine at Midnight », disque fourre-tout où l’on peinait à imaginer qu’œuvraient en son sein trois guitaristes tant la mièvrerie pop y était omniprésente. Il fut pourtant couvert d’éloges et de prix, rien de tel qu’un mort pour faire vivre le kitsch.

Après avoir fait durer le suspens, le groupe sortait finalement en 2023 un nouvel album, au titre de circonstance - « But Here we Are » - dans lequel Dave Grohl revenait à ses fondamentaux et à ce qui l’a fait roi, la batterie (en sus du chant et de la guitare). Si la première écoute pouvait déconcerter, morceaux un peu prévisibles, formatage sonore et batterie bizarrement cotonneuse, l’album se révélait à l’usage aussi addictif que beau.

Ce qui ne vous tue pas, ne vous renforce… pas, et pourtant, de la mortelle épreuve est sorti un grand disque, rappelant au monde combien la musique de ce groupe est de nature à enchanter comme à réconforter avec ces mélodies à la fois énervées et mélancoliques qui produisent invariablement leur petit effet.

On retrouve même dans cet album blanc aux couleurs du deuil cette grâce qu’a leur tout premier album (1995), à l’époque œuvre de Dave Grohl en solitaire, ce dernier y jouant tous les instruments.

Et après avoir dessus chanté tout l’été, on peut accompagner ce mur de guitares déchiré par la tristesse en chuchotant par dessus l’ultime titre :

« Rest, you can rest now
Rest, you will be safe now »

Sébastien Bourdon