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« Benni » de Nora Fingscheidt

dimanche 28 juin 2020, par Sébastien Bourdon

L’enfant Sauvage

C’est un lieu commun, mais il n’est guère aisé de filmer l’enfance, surtout si elle est difficile. Le miracle tient probablement ici évidemment aux intentions de la réalisatrice, mais probablement largement aussi au choix de l’actrice, dont on se demande par quel miracle elle arrive à être aussi juste et habitée par un tel personnage (Helena Zengel).

Benni s’appelle en réalité Bernadette, mais déteste son prénom et a opté pour ce patronyme, semble t’il adopté par tous. Il est vrai que du haut de ses neuf ans, elle se donne les moyens d’en imposer, ne reculant ni devant les cris, ni devant les coups, et ce à la moindre contrariété.

Abandonnée par une mère dépassée par les événements, Benni vogue de foyer en foyer, incapable de contenir sa rage, contre les autres, mais aussi contre elle-même.

Ce n’est certes pas un monstre cette petite fille, d’ailleurs il ne nous faut pas plus de deux plans pour nous attacher à elle. Il s’agit là sans nul doute de la première prouesse de ce film particulièrement intense que de brosser si vite et si bien des caractères.

Si l’on peut se réjouir de ce qu’existent des nations aptes à mettre une telle énergie à protéger des « chiens perdus sans colliers » (ici, l’Allemagne), la réalisatrice Nora Fingscheidt ne verse pas franchement dans un optimisme béat. Nonobstant les indéniables efforts de fonctionnaires dévoués, notre héroïne n’est pas de celles que l’on sauve et replonge sans cesse dans ses travers violents.

Le film se révèle ainsi aussi intense qu’haletant : à l’instar des protagonistes, mais de surcroît cloués à nos fauteuils, nous voudrions tant, mais obtenons si peu. Benni semble soudain s’amender et s’assagir, mais si bienveillant puisse être son entourage, il ne parvient en réalité pas à grand chose. Le système contient même en lui les germes des crises à venir : on ne trouve rien que du provisoire pour cette petite fille, si elle s’agite, elle doit partir, si elle se pose, ce n’est parfois pas moins fugace. Le titre allemand est en cela plus éclairant sur son sujet, « Systemsprenger », que l’on pourrait traduire par disjoncteur du système.

Le regard n’est toutefois nullement ici misérabiliste, la réalisatrice s’attache surtout à nous montrer que les meilleurs sentiments ne produisent pas forcément d’effets, du moins pas forcément ceux escomptés, et qu’il faudra encore et sans relâche courir après ce petit animal qui refuse de se laisser domestiquer.

Si le film ne se refuse pas à quelques coquetteries esthétiques, et se trouve être aussi haletant qu’un thriller, il se distingue par ce refus de la simplification, par une pudique acceptation de la complexité du monde, qui se reflète douloureusement dans les yeux bleus d’une petite fille.

Sébastien Bourdon

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