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« Anatomie d’une Chute » de Justine Triet

mardi 12 septembre 2023, par Sébastien Bourdon

Autopsie d’un Couple

Un matin froid d’hiver, le corps ensanglanté de Samuel (Samuel Theis) gît dans la neige, au pied de son chalet au-dessus de Grenoble. Son fils de onze ans, Daniel (Milo Machado Graner), de retour de promenade avec son chien, et bien que presque aveugle, réalise l’horreur et appelle sa mère Sandra (Sandra Hüller) au secours, qui descend immédiatement.

Ce drame frappe une famille d’intellectuels on ne peut plus occidentaux bourgeois lettrés, entre écriture de livres et enseignement, elle allemande et lui français, l’anglais étant devenu de facto la langue commune du foyer.

Le titre du film n’est pas trompeur, Justine Triet va soigneusement décortiquer l’événement, pendant 150 minutes, en partant de sa survenance, pour livrer aux spectateurs un long et passionnant récit filmé. Dans ce cadre narratif, on ne pourra pas reprocher à la réalisatrice de manquer d’ambition et, ce qui est plus rare, de ne pas avoir les compétences.

De ce fait divers, elle travaille profondément divers degrés de lecture : l’intime, le sociétal et la philosophie. Chacune de ces problématiques s’entremêle et s’articule sans jamais nuire à la complétude de l’œuvre.

Le couple tout d’abord, ce qui le fait, ce qui le défait et quelles mécaniques souterraines à l’œuvre le renforcent ou le détruisent. Fragile édifice bien difficile à comprendre, même pour ceux qui le constituent.

Ensuite, le fonctionnement de la justice (avec en fond un peu du cirque médiatique) : Justine Triet prend quelques aises avec la procédure française (liberté de mouvement du procureur - Antoine Reinartz - et invention d’une personne pour assister l’enfant - Jehnny Beth), mais colle d’assez près à la réalité pratique du boulot, de l’enquête au procès. Le cinéma français se pique avec un certain succès ces temps derniers d’analyser le fonctionnement de la société et de ses institutions et ce film s’inscrit pleinement dans ce mouvement, entre conviction politique et réussite artistique (cf. notamment « La Nuit du 12 » de Dominik Moll).

Le film est fort bien écrit, les dialogues, et notamment les scènes de couple, sont d’une justesse et d’une précision rares. La pertinence des échanges en milieu glacé frappe, et on ne rejoindra pas ici la caravane des critiques trouvant le personnage féminin froid et énigmatique. Ce qu’elle dit, ce qu’elle fait, tout se tient et dessine une personnalité à la présence et à l’essence parfaitement crédibles.

Qu’est-ce que la vérité, c’est le questionnement philosophique majeur du film. Comment la reconstitue-t-on a posteriori, sachant que chacun a la sienne et qu’elle est de toutes façons toujours fuyante ? Rien de tel qu’un bon procès pour rappeler à chacun la complexité du réel (jusque dans le surgissement du rire, Justine Triet ne se figeant heureusement pas invariablement dans l’esprit de sérieux).

Humain, trop humain, constat difficilement contestable.

Sébastien Bourdon

Messages

  • Merci pour ce commentaire encourageant à voir ce bon film.
    Le zeste de froideur du personnage principal énigmatique contribue merveilleusement à introduire et entretenir un doute sur son innocence et de plus en plus jusqu’au bout du film tandis que s’efface dans notre imaginaire l’horreur de la situation : cette femme souffre de la mort de son mari, son jeune fils est aveugle, mais un processus diabolique s’enclenche à tort ou à raison pour la suspecter de surcroit d’avoir pu tuer son mari physiquement ou mentalement. Que de magnifiques rôles et cadrages dans ce film.

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