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« Aftersun » de Charlotte Wells

mardi 7 février 2023, par Sébastien Bourdon

Sur les Cimes du Désespoir

Une fille pré adolescente, Sophie (Frankie Corio) filme son père (Paul Mescal) alors qu’ils viennent juste d’arriver dans un village de vacances en Turquie. Nous sommes dans les années 90, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps, mais la seule absence de téléphones portables change le regard sur le monde.

A cette époque antédiluvienne, on faisait usage de la caméra vidéo, outil que le duo va utiliser ici chacun à son tour pour filmer cette parenthèse enchantée au soleil.

D’emblée, le film se distingue ainsi par cette mise en image - complétée de plans parfois décadrés ou flous - qui s’emboîte dans une narration très subtilement et ponctuellement déconstruite.

C’est la paisible vie sous le soleil des vacances, dans ces villages parfaitement artificiels - ici dans une version un peu cheap - où l’on se baigne, joue aux jeux vidéos et consomme joyeusement au bar pour peu qu’on ait le sésame, un bracelet all-inclusive. On se souvient alors combien on est aussi peu que possible à l’étranger dans ces endroits. La seule chose qui permet de distinguer ces lieux du Royaume-Uni, c’est le soleil, la Turquie ne s’illustrera que par le marchand de tapis (et des ruines antiques, mais on en voit partout n’est-ce pas).

La vie devrait être douce mais des coupures et des ellipses laissent à penser que les choses ne sont pas si simples. La légèreté de l’air peine à gagner complètement les protagonistes, ce que confirment certains de leurs échanges où affleure une gravité qu’ils voudraient probablement noyer dans la Méditerranée.

On ne le comprend pas forcément tout de suite, tant le film n’use pas de schémas narratifs traditionnels, mais cet été est comme vécu à nouveau à l’image et dans sa mémoire par une Sophie devenue adulte et qui voudrait comprendre ce qui s’y est noué et qui se perd dans ses souvenirs troublés.

Il y avait quelque chose de profondément brisé chez son père et on a rarement aussi bien représenté à l’écran le désespoir insoluble. Il arrive que ni le soleil, ni l’amour d’un enfant ne puissent vous sauver des abîmes.

Dans le dernier tiers du film, une subtile accélération du rythme qu’on ne voit pas venir vous plonge dans une indicible mélancolie. La tristesse vous saisit pour ne plus vous lâcher. On pleure et c’est tout juste si on sait très bien pourquoi.

Peut-être a-t-on approché au plus près le tréfonds absurde de l’âme humaine, la pulsion de mort, celle qui ne vous lâche pas, quand pourtant tout vit autour de soi.

Sébastien Bourdon

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