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« Adolescentes » de Sébastien Lifshitz

dimanche 13 septembre 2020, par Sébastien Bourdon

Âge Tendre et Tête de Bois

Emma et Anaïs sont camarades de classe, et on va les suivre entre 2015 et 2019, du collège au baccalauréat, en deux trajectoires parallèles, mais pas vraiment similaires. Sans jamais s’attarder inutilement, le réalisateur esquisse délicatement ce qui constitue ces êtres en devenir. De leurs origines sociales à leurs appétences, à ces traits de caractère qui vont s’imposer et en faire des adultes.

Filmer cet âge de transformations peut virer à l’accumulation de poncifs, difficiles à éviter quand on parle du surgissement de l’acné et de la crise d’adolescence. Par une sorte de miracle continu, le réalisateur parvient à ne rien esquiver en abordant tous les sujets par touches subtiles, sans jamais s’appesantir.

La complexité des êtres et des situations est d’autant mieux restituée que nous suivons deux parcours : deux protagonistes, deux vies en miroir.

Emma est mince et brune, aspirante artiste, mais le plus souvent renfermée et secrète. Un père relativement absent, mais une mère très présente avec laquelle les rapports sont souvent houleux. L’affection peine à s’exprimer, mais elle est probablement réelle. Nous sommes chez des bourgeois cultivés, aimants et ouverts.

Anaïs est boulotte et volubile, aspire plus tard à s’occuper d’enfants (ou de personnes âgées, elle n’est plus si sûre). Fille aînée d’une famille défavorisée (symbole et marqueur social terrible que l’obésité et les malheurs qui l’accompagnent), elle se débat avec énergie et bonne humeur contre les difficultés de sa vie.

Au début du film nos deux protagonistes sont proches, et puis petit à petit on comprend que les liens se distendent comme souvent à ces âges. La caméra ne filme plus le duo dans un même plan, accompagnant les mouvements du cœur, dans un suivi en alternance.

Du cœur au corps, âge où soudainement cela fusionne. Si l’une - Anaïs - semble emballée par l’idée d’une vie sentimentale et sexuelle, l’autre semble presque y voir un passage obligé auquel il faudra se soumettre. Là encore, le réalisateur met toute la pudeur et la subtilité qu’il faut pour suivre ses jeunes protagonistes dans ces découvertes parfois cruelles.

Alors que l’on pourrait croire que ce documentaire parle d’un âge de la vie, il dresse en creux, avec subtilité et intelligence, un portrait du pays dans lequel grandissent ces jeunes filles.

C’est ce qui fait aller le film encore bien au-delà de l’expérience intime, si universelle soit-elle, par le surgissement de l’Histoire. Bousculée par l’actualité nationale qui frappe Paris comme Brive la Gaillarde en cette période, on voit cette jeunesse bouleversée par la soudaine violence. Et le père d’Emma se trompe finalement un peu quand il déplore le désintérêt pour la chose politique dans la jeunesse. On y découvre en effet des lycéens - pas encore masqués - aux opinions multiples, mais intéressés, curieux et légitimement effrayés.

En ressort donc une certaine idée de la France contemporaine, tiraillée et multiple. On y décèle aussi une société qui parfois éduque, élève, soigne et même accompagne ceux qui souffrent.

Sébastien Bourdon

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