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« About Kim Sohee » de July Jung
lundi 1er mai 2023, par
Les Temps Modernes
Corée du Sud, de nos jours, dans un lycée agricole, la jeune Kim Sohee (KIM Si-eun) décroche un stage en entreprise, passage obligé de sa formation. Comme spectateur, on s’étonne qu’on fasse faire à une future soigneuse animalière un passage comme conseillère clientèle chez un sous-traitant de fournisseur d’accès Internet, mais tout le monde semble trouver cela normal et même, s’en réjouit.
La jeune fille, gracieuse danseuse de K-pop mais au caractère bien trempé, va se retrouver plongée en un claquement de doigts dans l’enfer libéral des call-centers : violence des échanges en milieu fermé, avec obligation continue de résultats.
Probablement parce qu’elle est volontaire et qu’il y a de l’abnégation dans la culture coréenne du travail, Kim va être littéralement absorbée par le système, jusqu’à l’effondrement.
La description de cette mécanique d’écrasement est scindée en deux parties distinctes, chacune bénéficiant d’une longue et patiente exposition, afin que rien ne nous échappe de ce désastre social et humain.
Kim Sohee est ainsi remplacée à mi-chemin du film par une flic taciturne et déterminée, Oh You-jin (Bae Doo-na), portrait renouvelé du maverick à l’ancienne, ici en femme convaincue de devoir convaincre un monde incrédule de ce que l’on marche sur la tête.
De quoi parle-t-on en effet ici si ce n’est d’une société qui littéralement dévore ses enfants ? Chacun, à son niveau, trouve une justification à l’adhésion inévitable et nécessaire à un système cannibale, qui n’est finalement qu’un mode différent de sacrifice humain généralisé tel que pratiqué dans les mondes antiques.
On a décidé un jour au nom de la sacro sainte culture d’entreprise qu’il était impératif de faire découvrir aux enfants le monde capitaliste le plus tôt possible, comme si l’enseignement des Humanités était devenu impropre et en tout cas insuffisant à la formation de la jeunesse.
Et dans un univers où la notion même de régulation et de contrôle se dissout dans la nécessité des flux marchands continus, notre justicière solitaire s’interroge : mais quelle sorte d’école êtes-vous ? Pour finalement découvrir que le système n’est plus que cela : stagiaires disciplinés devenus mains d’œuvre à bas coût taillable et corvéable, rouage essentiel à l’employabilité devenue seul critère d’une d’éducation nationale totalement sortie de sa mission et consciencieusement asservie (le film est inspiré de faits réels).
Et ce n’est pas le moindre des paradoxes - mais finalement aussi d’une grande cohérence - que la violence de ce fonctionnement mortifère soit ici dénoncée par la Police, chargée de protéger l’ordre public et disposant, pour peu qu’elle ne soit pas elle aussi corrompue, des moyens nécessaires à cette fin (à la suite de cette affaire, la législation sud-coréenne a été modifiée).
Sans esbroufe, avec une grande élégance dans la manière de filmer, préférant éviter le pathos ou l’excès démonstratif, July Jung fait une démonstration aussi précise qu’implacable.
Sébastien Bourdon