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The Golden Age of Leather

Hellfest 2017 - 16, 17 et 18 juin

jeudi 22 juin 2017, par Sébastien Bourdon

Hellfest 2017 - 16, 17 et 18 juin

En arrivant à la gare Montparnasse en ce jeudi après-midi, je croise sur l’escalator un magnifique moine tout de bure crème vêtu. Une fugace rencontre entre celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas. L’un des deux se rend pourtant au Paradis, mais terrestre, lieu qui, comme chacun sait, n’ouvre ses portes que trois jours par an à Clisson.

Jour 1 :

Sur le site le lendemain, force est une fois de plus de constater, comme chaque année, les améliorations apportées au lieu comme à l’organisation. Les files d’attente qui furent si pénibles l’an passé se sont estompées, tout est fluidifié et facilité. Il est définitivement difficile d’imaginer un festival où plus encore de soins seraient apportés à ceux qui le fréquentent.

De surcroît, il fait maintenant toujours beau, miracle du réchauffement climatique. Si la pelouse avait tenu un peu plus d’une journée lors des éditions précédentes, elle ne résistera cette fois que quelques heures, et le sol devenu poussière tapissera durant ces trois jours nos corps. Au milieu de la nuit, épuisés, hagards, couverts de sueur et de terre, nous ressemblions à des Golems en bout de course.

Dans cet espace encore un peu vert et ensoleillé, l’on peut voir des gens jouer aux cartes sur fond de punk rock brutal. On ne se lasse pas de l’impression de dolce vita que peut générer cet endroit que d’aucuns imaginent pourtant sauvage.

Cet abordage paisible du cru 2017 nous permet un positionnement facile sous la Valley pour Helmet. Avant le début du concert, une jeune fille m’aborde pour me demander des bouchons d’oreilles. On doit avoir l’air affreusement raisonnable. Et d’ailleurs on en a pour elle qu’on s’empresse de lui donner, car la prévention chez les jeunes, c’est important.

Pour ce premier concert du festival, quelle entrée en matière ! Si les heures glorieuses des années 90 sont un peu lointaines, et le groupe totalement remanié, l’ensemble reste créatif et sacrément dynamique au sens le plus pur. Très vite la fosse d’abord un peu posée s’agite en tous sens dans un élan de joie communicative quand Page Hamilton nous chante pourtant que "All News is Bad News".

Comment ne pas être fasciné depuis la première écoute de l’album "Meantime" (1992) par la construction quasi mathématique de cette musique. Helmet produit le bruit le plus précis qui soit. Groupe essentiel et concert indispensable (ou l’inverse).

Cette première prestation méritait un tee-shirt et il s’est justement trouvé un ami pour m’en offrir un.

On rejoint la Mainstage sur laquelle se produit Devin Townsend. L’on va peut-être dans ce contexte apprivoiser un artiste auquel on est resté jusqu’alors hermétique (même s’il ressemble beaucoup à notre professeur de yoga). Musique ample, voix d’airain, groupe très solide, mais tout cela est un peu trop grandiloquent, même si non dénué d’humour.

On renonce donc assez vite pour se réfugier à nouveau sous la Valley où les sons produits rejoignent plus facilement nos appétences. Le tea time vient juste de s’achever, Red Fang arrive dans quinze minutes. Groupe qui a un nombre impressionnant d’afficionados permettant l’instauration quasi immédiate d’une chaude ambiance. Sitôt le spectacle commencé cela bastonne en tous sens, ce qui semble ravir des musiciens bien plus à leur aise que la fois précédente sur une Mainstage inadaptée. Et puis si les deux derniers albums n’ont guère convaincu, sur scène c’est amusant, même si cela fait un peu pataud au regard d’Helmet un peu plus tôt.

Surtout, le spectacle nécessite une prudence inhabituelle obligeant presque à tourner le dos à la scène afin de vérifier à tout instant qu’un slammer inconséquent ne s’apprête pas à vous briser la nuque en vous tombant soudainement dessus.

Après ce concert de musique de jeunes, on tente l’aventure Ministry. Las, si à vingt ans, on ne goûtait guère l’indus, en faisant plus que doubler l’âge de départ, on n’y est toujours guère sensible. Je sais, c’est une attitude critiquable.

La journée se poursuit sans grande raison de s’enthousiasmer sur le plan musical, en se contentant de l’indéniable plaisir renouvelé d’être là, ensemble.

On écoute distraitement les polonais de Behemoth. Toujours aussi brutaux et écrasants certes, mais le maquillage, les pattes de poulet mort et les costumes sataniques, c’est quand même assez peu convaincant en plein soleil.

Deep Purple ne se décide pas à mourir ce qui les rend efficaces et détendus. Le plaisir est indiscutable devant cette fraîcheur conservée, dans l’interprétation comme dans le choix des titres, piochés au hasard de leur répertoire. Peu d’impairs tant les compositions sont solides, ce qui est encore le cas avec leur dernier album ("Infinite" 2017).

Deux petites filles juchées sur les épaules de leurs pères chantent en dressant le poing qu’il y a de la fumée sur l’eau. Tout cela est fort gai.

On part avant les dernières notes de "Hush" pour se délecter de l’absolue brutalité d’Obituary. Là, on ne plaisante plus du tout, sang et poussière sous l’Altar. Ramassés, efficaces et concis, ces garçons ne sont pas là pour la frime ou l’esbroufe. D’ailleurs si personne ne se risque à slammer, ces gens sont en train de nous faire mordre la poussière.

On se pose ensuite gentiment pour l’ultime voyage de la journée dans la Valley à attendre Monster Magnet. Les musiciens et roadies règlent le matériel quand sont projetées sur un écran des images de "French Connection" (William Friedkin - 1971). A ces dernières succéderont pendant le concert notamment des extraits de "Eyes Wide Shut" de Stanley Kubrick (1998) ou d’un obscur "Werewolves on Wheels" (Michel Levesque - 1971) qu’on aimerait découvrir un jour.

C’est en tout cas un Dave Wyndorf requinqué que l’on retrouve, avec une vigueur de jeune homme. Un concert de rock n’ roll à l’ancienne avec force guitares et ventilateurs pour faire voler les cheveux longs. "Space Lord motherfucker !!".

Une manière exemplaire de finir une journée qui sera finalement allée crescendo. On a même rencontré un jeune qui portait un tee-shirt "Invisible Touch Tour" de Genesis, de quoi retrouver la foi dans les "Millennials".

Jour 2 :

La chaleur sur place est infernale mais on commence avec un groupe qui reste frais, Ugly Kid Joe sur la Mainstage. Plus si jeunes donc et pourtant toujours aussi drôles et sympathiques, leur joie d’être là est communicative et c’est "une très belle journée dans le voisinage" qui commence.

Le chanteur Whitfield Crane mène la danse, en prince indétrônable du cool californien. Le concert s’avérera au final festif et très convaincant, malgré une set-list un peu décevante (et mon "Sandwich", il fallait que je vous le prépare ?).

Changement radical d’atmosphère après ces festivités estivales et californiennes, avec le groupe Blood Ceremony sous la Valley.

Une femme en combi short de velours vert bouteille accompagnée d’un trio discret, mais efficace, nous joue ce qu’elle appelle du "Folk horror at high volume". Cela sonne terriblement années 70, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Et puis ce n’est pas si souvent qu’on entend une jolie fille jouer de la flûte traversière au Hellfest (noire la flûte, forcément). Un peu de féminité froide dans un monde viril et brûlant.

Attendre la venue de Dee Snider sur la Mainstage nous oblige à subir quelques minutes les épouvantables Steel Panther. Même quand on aime beaucoup les seins nus, puisque la tradition aux concerts de ce groupe est de faire monter sur scène les spectatrices soucieuses de se débarrasser de leur haut, cela reste une punition auditive et, paradoxalement, un groupe totalement faux-cul.

Tout le contraire pour Dee Snider à qui l’on souhaite longue vie et une présence régulière à Clisson même sans feu Twisted Sister, tant ce garçon a un allant et une classe folle. L’entertainer dans sa forme chimique la plus pure. Si Twisted Sister n’a jamais semblé un groupe très rigide, il n’en demeure pas moins que le chanteur semble comme libéré accompagné ici d’un petit ensemble tout ce qu’il y a de plus efficace.

Le garçon tire une sacrée son épingle de son jeu en misant sur l’émotivité naturelle des headbangers à deux reprises durant un set pourtant plutôt basé sur le fun : avec l’hymne "We’re Not Gonna Take It", d’abord interprété au piano, puis enchaîné dans sa version classique qui fera danser et chanter la foule.

S’ensuit une reprise inattendue et puissante du "Outshined" de Soundgarden en hommage au récemment disparu Chris Cornell. Ce morceau va tirer de nous les larmes qui n’avaient pas coulé avec le titre précédent.

Ce set s’achève avec un inévitable "I Wanna Rock". On ne peut qu’abonder avec Snider en se disant que ces quarante-cinq minutes nous laissent un goût de trop peu.

Poursuivons avec des gens du même âge mais que la réputation scénique ne précède pas toujours, les français de Trust. Surprise dans cette journée décidément exceptionnelle, Bernie est en voix et le groupe a le feu sacré. Ce surgissement de la pensée gauchiste sur fond de rock n’ roll nous amènerait volontiers à faire la révolution dans les vignobles.

Nonobstant une set-list oubliant nombre de classiques, ce concert constitua un bien joli moment énergique, et forcément un peu mélancolique ("Le temps efface tout c’est dégueulasse"). On se quitte sur ce cri : "Restez en colère !"

À propos de colère, Comeback Kids dans la Warzone semblait convaincant mais la journée est longue et n’est pas finie, il semble plus raisonnable de se poser dans le bois avec des nouilles sautées (délicatement saupoudrées de la poussière en suspension).

Retour une nouvelle fois sous la Valley pour écouter Primus. Il est amusant de voir à quel point cette musique pour le moins étrange et drolatique jusqu’à la gêne passionne les foules. Le public les appelait déjà à grands cris avant même qu’ils ne parviennent sur la scène de la Valley. Sur ces rythmiques martiales et décalées, l’enthousiasme montré dès le départ ne faiblira pas une seconde.

Il y a une forme de génie inattendu à jouer des sonorités dissonantes sur un violoncelle en portant un masque de cochon.

En attendant Aerosmith sur la Mainstage, autre calvaire sonique, les grotesques Apocalyptica qui, non contents de massacrer le répertoire de Metallica, ont également l’outrecuidance de composer eux-mêmes des chansons.

Si Aerosmith ne déçoit pas, le groupe ne surprend guère avec son show à l’américaine, réglé comme du papier à musique. Seuls la douce folie de Tyler et la guitare sale de Perry empêchent l’ensemble de sombrer dans la caricature.

Le concert semble un peu sortir du pilotage automatique avec des reprises de blues ("Stop Messin’ Around" et "Oh Well") mais on aurait sans doute mieux fait d’aller voir John Garcia avec Slo-burn. Mais que voulez-vous, ils semblent que les bostoniens aient décidé de quitter prochainement la piste aux étoiles, on s’en serait voulu de ne pas leur avoir dit au revoir.

On coupe toutefois avant la fin, pour rejoindre une Warzone dont on sait qu’elle sera remplie et violente comme les plages normandes un 6 juin 44. Suicidal Tendencies vient fermer le bal de ce samedi soir et nombreux seront les danseurs.

À peine le concert commencé, la bousculade est immédiate, des nuages de poussière s’envolent et un quidam placé juste derrière moi me renverse sa bière sur la tête. La fièvre du samedi soir, mais dans un genre que l’on qualifiera de viril.

On a fini la soirée comme roué de coups, mais on y a pris du plaisir et ce d’autant que la présence de l’impérial Dave Lombardo derrière la batterie a redonné au groupe une rigueur dans l’exécution qu’il semblait avoir définitivement perdu.

"You can’t bring motherfucking France down !!"

Jour 3 :

On commence par un massage ventral sous la Valley (encore ? Oui, encore) avec la basse d’Ufommamut (je dis la basse car je ne suis pas certain qu’il y ait eu un autre instrument de sorti durant ce concert).

Une musique lourde et psychédélique offrant donc l’avantage de faciliter la digestion de la nourriture servie durant ce festival, ce qui est appréciable car il n’y a pas de pharmacie ouverte le dimanche (on est en province).

Nous ne quittons pas les lieux et profitons de l’ombre, à défaut de la fraîcheur. Pentagram va s’y produire, mais amputé de son chanteur Bobby Liebling porté pâle (dépendance à l’héroïne, ce genre de "maladie").

Cela se révèle guère gênant, Victor Griffin (guitare et chant) faisant le boulot, et on se dit que c’est plutôt le cas échéant sa guitare qui manquerait à ces magnifiques perdants du rock n’ roll. Converti au christianisme, il sait toutefois encore admirablement faire jaillir le Malin de son instrument ("Sign of the Wolf").

On ne sort de la Valley que pour se désaltérer et on retourne vite à l’abri pour voir les piliers historiques de Blue Oyster Cult. La jeunesse n’attend pas le nombre des années, elle peut même rester jusqu’à donner l’illusion de l’éternité. Leur musique semble aujourd’hui sage, mais persiste à ne pas manquer d’allant.

A propos d’âge, on a assisté à un début d’échauffourées entre un groupe de jeunes et un type d’un âge vénérable mais encore costaud, ce dernier n’appréciant pas l’enthousiasme dansant de la jeune classe, pourtant habituel au Hellfest. Un conflit générationnel reste possible, même au Hellfest.

Tenus par d’autres obligations mélomanes, on quitte les lieux avant l’issue du spectacle pour aller écouter les Prophets of Rage, c’est-à-dire les musiciens de Rage Against The Machine, accompagnés des rappeurs Chuck D de Public Enemy et B-Real de Cypress Hill.

Ce concert, qui va galvaniser le gros des festivaliers devant la Mainstage, donne l’impression de rendre une saine rage à une France engourdie en ce dimanche électoral.

Et l’on ne peut que saluer l’arrivée d’un hip-hop digne en ces lieux, la horde métallique l’approuve d’ailleurs en chantant en coeur du Public Enemy ou du Cypress Hill, entre deux morceaux de Rage Against The Machine.

Tout le monde, partout, sautant en tous sens, c’est un véritable vent de sable qui s’est levé sur le Hellfest. Pris dans cette tempête du désert, B-Real avec son cheich donne l’impression d’un saoudien égaré à Clisson.

Seul moment d’accalmie, l’hommage rendu à Chris Cornell par ses anciens acolytes au sein d’Audioslave. Dans le silence, les trois musiciens interprètent le très beau "Like a Stone" nous demandant de chanter si l’on connaît les paroles, ou simplement de penser au défunt. Parfaite illustration de la soudaineté de l’absence, après le passage de la mort, ne reste du chanteur que sa musique et ses textes, chantés par son public.

Avant de clôturer les débats par un inévitable "Killing In The Name Of", B-Real nous rappelle qu’en ces temps dangereux, il faut jouer de la musique dangereuse. Et le public d’entonner en chœur un rageur "Fuck you, I won’t do what you tell me".

Pas de pitié pour les braves, nous optons pour un enchaînement sans trêve sous la Valley avec Clutch. On la croit pleine tant elle déborde. D’ailleurs, remplie, elle l’est. Qu’importe, on se faufile, on se glisse, avec cette chaleur, le passage entre les corps moites est plus aisé.

Clutch, qu’on a vu souvent finalement, fait ce qu’il sait le mieux faire, produire un rock qui groove et swingue à l’image de son exceptionnel batteur, Jean-Paul Gaster. Les titres les plus anciens nous rappellent malgré tout un sens de l’aventure musicale que le groupe semble avoir un peu perdu en s’orientant de plus en plus vers le blues.

Mais la musique est bonne, la nuit est belle, elle est chaude, elle est sauvage, il y a même des filles qui en ont perdu leur tee-shirt.

Sorti de là, on réalise que malgré l’heure tardive, l’on pourrait faire plus et encore, Coroner, Emperor, Hawkwind ? Et puis, la fatigue a bien fini par nous tomber dessus, et on a renoncé, non sans boire un dernier verre à la santé de cette musique si bien célébrée en ces lieux. Il faudra juste s’interroger sur la pertinence de cette effarante recrudescence de chaises pliables.

L’an prochain, on prend les mêmes et on recommence.

Sébastien

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