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Phil Collins, Drummer First
samedi 21 décembre 2024, par
De battre, s’arrêter
Le vieil homme s’extrait péniblement du véhicule, aidé par son jeune fils.
Les deux entrent dans la belle demeure suisse, ils s’assoient et l’interview va pouvoir commencer. Dans une pièce attenante, une batterie a été installée, la sienne. Phil Collins l’effleurera à peine, son corps s’y refuse. Il ne s’agira donc plus de jouer de la musique, mais de la raconter.
Drumeo est devenu en peu de temps la principale boutique de cours de batterie en ligne du monde, par la seule force de sa créativité et d’une communication tous azimuts très addictive. Sa stratégie commerciale est simple : laisser la parole aux musiciens et les faire jouer de leur instrument, avec notamment une séquence tout à fait réjouissante : leur donner à écouter un morceau qu’ils ne connaissent pas et leur laisser un temps très court pour l’interpréter d’une traite.
Le jeune fils de Phil Collins, Nick, batteur de son état, étant passé par là, l’idée a germé d’interviewer son illustre géniteur qui sur l’instrument a quand même beaucoup à dire, en ayant même révolutionné sa pratique : entre groove et descentes de toms immédiatement reconnaissables et changement de statut du batteur qui, de l’arrière de la scène caché derrière l’encombrant assemblage, est venu prendre le micro et devenir un des chanteurs les plus célèbres de la planète.
Si fatigué soit-il, quand bien même il n’est pas si vieux (71 ans au moment du tournage), Phil Collins est intarissable, probablement galvanisé par la présence de son fils. Il est vrai que ce dernier a suppléé au père derrière les fûts lors de deux tournées triomphales récentes, en solo comme avec Genesis, remettant envers et contre tout de la vie dans le corps cassé du vieil artiste en lui faisant retrouver la scène.
L’entretien est ponctué d’interventions de partenaires historiques (Daryl Stuermer et Leland Sklar) et de batteurs célèbres, de toutes générations et styles (de Billy Cobham à Chad Smith en passant par Brann Dailor), qui viennent dire combien l’homme fut et reste une influence majeure.
Il est vrai qu’il a tout joué et avec tout le monde, du progressif le plus pointu à la pop radiophonique, en passant par l’expérimental et le jazz rock, sans oublier le Big Band. Pourquoi cette versatilité ? Parce quand on peut, on veut. En tout cas Phil Collins a voulu ne se priver de rien, certainement pas mû par une dévorante ambition, mais par le plaisir de jouer avec les autres.
Et alors il raconte, il explique, avec une modestie confondante et un zeste d’humour anglais. Il rit de lui, de ce qu’il n’a pas su faire, ne regrette rien de majeur se réjouissant de l’essentiel, c’est-à-dire de cette vie consacrée à quelque chose qu’il a passionnément aimé.
La voix se brise un peu lorsqu’il dit d’une partition qu’il ne pourrait plus la jouer, et que de toutes façons, il ne peut plus rien jouer.
Phil ne s’est pas économisé et il est d’une génération qui ne s’encombrait pas des postures protégeant le dos ou du yoga après le concert.
Les fûts, si on n’arrivait pas à les régler, on tapait plus fort : « beat them into submission » explique-t-il en riant. Mais un jour c’est le phénomène inverse qui s’est produit, le corps a cédé et la musique s’est arrêtée.
Et tout du long de ces deux heures aussi bouleversantes que passionnantes, on a envie de serrer dans nos bras cet homme qui nous a tant donné, de le remercier de nous avoir ouvert tant de portes, laissant entrer en nous de merveilleux courants d’air.
Sébastien Bourdon