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Keep It Dark

mercredi 3 février 2016, par Sébastien Bourdon

Steven Wilson – Le Palais des Congrès, le 1er février 2016

Bienvenue au Palais des Congrès, où tout est blanc, où tout semble si propre. Même refait, cet endroit peine à toujours trouver son identité, à même justifier son existence, immeuble boursouflé planté porte Maillot par on ne sait quel urbaniste dément. Le fait que cela se joue dans cette salle, un lundi soir d’hiver, nous a fait longtemps hésité à prendre une place, chère qui plus est.

Mais voilà, Steven Wilson porte à lui tout seul ou presque le mouvement « prog rock » dans sa frange audible et encore vive. C’est au surplus un artiste qui ne mourra pas jeune, c’est trop tard, et qui est encore suffisamment frais pour qu’on ne s’inquiète pas de sa prochaine disparition. Et ces temps-ci, c’est précieux. Du coup, toute résistance était futile, il fallait en être, et ce d’autant que cette soirée comptait la présence parmi les musiciens de la chanteuse israélienne Ninet Tayeb, dont les vocalises splendides ne comptaient pas pour rien dans la quasi perfection atteinte par l’album « Hand Cannot Erase » (2015).

En attendant le spectacle, nous voilà donc attablé devant un plateau en plastique, à se sustenter d’un sandwich aussi insipide que l’endroit où il est servi (le comble étant que cela s’appelle « Goutu »). En ces lieux d’ordinaire assez bourgeois errent comme égarés des fans de rock progressif (sans doute la frange la moins sexy des fans de rock, d’ailleurs j’en suis ?!). Peut-on imaginer moins rock n’ roll que le Palais des Congrès ? Sans doute pas, et Steven Wilson lui-même s’interrogera très vite sur le choix d’une telle salle, comptant sur le soutien de ses fans pour réchauffer un peu l’endroit, froid par nature (tuons le suspense, il y arrivera et nous avec).

En entrant dans la salle, résonne du Bowie en fond sonore (natürlich). D’accortes et souriantes jeunes femmes nous placent dans des fauteuils molletonnés, c’est tout juste si on ose parler autrement qu’à voix basse. On est donc fort bien installé, mais on se demande si les lieux se prêtent à autre chose qu’à un concert de Michel Sardou ou un spectacle de Robert Hossein.

La soirée s’articule en deux parties, l’interprétation in extenso du « Hand Cannot Erase » sus-évoqué, suivie, après un intermède, d’une promenade dans les divers travaux de Steven Wilson. L’album joué dans son entièreté est sans doute le meilleur album rock sorti en 2015 (au coude-à-coude avec le « Sol Invictus » de Faith No More). Quant au reste, dans la mesure où le garçon n’a jamais rien commis de mauvais, le moins que l’on puisse dire est que le programme est alléchant.

Les lumières s’éteignent progressivement (logique) pendant qu’est projeté en fond de scène un film très typique d’une certaine photographie contemporaine. Des images d’immeubles de béton, de gens qui marchent, une poésie urbaine qui se marie parfaitement à la solitude moderne qui se dégage parfois de la musique de Steven Wilson.

Dès les premières notes, le charme opère, le son est parfait et la musique divine, interprétée, il faut bien le dire, par des musiciens de tout premier choix. Le nouveau batteur, Craig Blundell, remplaçant du créatif volubile qu’est Marco Minnemann, m’a semblé d’abord un peu plus épais dans son jeu, mais s’est en réalité avéré tout aussi capable de vélocité et de créativité. On s’agite sur son siège, faute de mieux, tant l’émoi est grand de voir un si bel ouvrage se développer sous nos yeux.

Encore une fois, tous les musiciens sont exceptionnels, sans que cela porte préjudice au talent des uns ou des autres, chacun n’utilisant ses extraordinaires compétences que pour participer à la construction d’une œuvre collective majeure (même si Wilson en est le grand ordonnateur, multi instrumentiste et chef d’orchestre).

S’agissant de cette première moitié du concert, alors que l’on a sans doute écouté mille fois ce disque en tous points remarquables, son interprétation live est totalement envoûtante (« Perfect Life »). Restitué in vivo, avec projection de films et clips, est encore plus prégnant le fait que cet album soit littéralement hanté par la figure féminine, en accentuant la grâce. Cette omniprésence est d’ailleurs comme ponctuée par les apparitions scéniques régulières de la chanteuse Ninet Tayeb, nous emmenant dans des sphères émotionnelles peu communes (difficile de résister à « Routine » par exemple).

Le temps d’un disque file vite et nous voilà à attendre la suite, le temps d’un tour au merchandising ou aux boissons fraiches.

La déambulation musicale qui va suivre permet de constater à quel point Steven Wilson est un musicien aux influences clairement identifiables, mais aussi combien il sait s’en affranchir ou les sublimer. Du Genesis de « A Trick of the Tail » ou « Wind and Wuthering », au trip-hop de Tricky et Portishead, sans oublier d’autres fondamentaux de l’histoire du rock comme David Bowie ou Joy Division (et Pink Floyd). Rien que de très anglais et de très bon goût en somme. De tout cela, il extrait une musique toujours exigeante et d’une rare richesse.

La balade nocturne est d’autant plus agréable que sont enfin à nouveau joués des morceaux de Porcupine Tree, pour la plus grande et bruyante joie des fans (« Sound of Muzak », « Sleep Together »…). A l’écoute comparative avec son œuvre solo, les extraits tirés du répertoire de son ancien groupe apparaissent plus directs et sauvages, ce qui ne nuit pas au concert sur sa durée, accentuant encore la variété des atmosphères (on se souvient aussi de ce que ce groupe a un jour joué au Hellfest et combien il serait de bon ton que cela se reproduise).

Steven Wilson, souvent assez drôle dans ses interventions (humour anglais oblige), se fait un peu plus grave pour rappeler que le rock a été sévèrement touché ces temps derniers et que c’est sans doute à Paris qu’on le ressent plus qu’ailleurs. Aux anonymes assassinés a semblé répondre la disparition des idoles, et c’est ainsi qu’est joué en hommage à Bowie le titre « Lazarus » de Porcupine Tree. Le salut au grand homme se poursuivra également un peu plus tard avec l’interprétation émouvante de son « Space Oddity », accompagné de Ninet Tayeb. Un seul regret, quand on a un groupe pareil, on peut éviter un titre aussi convenu pour se lancer plutôt dans « Station to Station » ou « Stay » (choisis, oh lecteur, ton morceau préféré du Thin White Duke, je ne doute pas qu’il ait pu être joué).

Tout cela, pause non incluse, a quand même duré trois heures, qui ont semblé quelques minutes, tant l’aisance et la fluidité étaient à l’œuvre sur scène. On n’a cessé de sourire, tout en essuyant quelques larmes devant tant de beauté sombre. Rien à faire, rien ne change, je comprendrai toujours mieux la musique évoquant la pluie sur Londres à celle vantant les mérites du rhum antillais.

Sébastien

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