Accueil > Francais > Musique > Hellfest, les 17, 18 et 19 juin 2022

Hellfest, les 17, 18 et 19 juin 2022

samedi 25 juin 2022, par Sébastien Bourdon

Deux Jours de Rêve, Un Jour Rêvé

Jour 1 - 17 juin 2022

En fait, tant qu’on n’a pas passé la « cathédrale », c’est tout juste si on y croit à ce Hellfest 2022 - qui aurait dû être 2020. On a vécu dans une réalité parallèle pendant des mois au point de parfois croire que l’on ne revivrait plus ça. D’autres menaces pèsent évidemment sur ce type d’événements, la température délirante (jusqu’à 40 degrés !) en atteste, mais là, on y est presque, on touche du doigt le retour d’une forme accomplie et particulière de bonheur.

A l’approche du site on découvre des améliorations qui n’en sont pas, spécialité de l’époque : il est dorénavant interdit de se garer sauvagement au bord des champs, il faut rejoindre un impératif parking automobile. Mobiliser des terres viticoles pour y garer les véhicules des festivaliers et parvenir ainsi à nous faire attendre des plombes en voiture… sous un soleil de plomb, avant de prendre une navette - comme dans un aéroport. On s’en fout, on ira à pied parce que tout de même, on n’est pas des bœufs.

On commence par Burning Heads, du punk français entièrement d’époque. L’herbe est encore grasse et verte, quant au groupe, même s’ils ne sont plus si jeunes, l’enthousiasme est encore là.

La température du jour est comme la musique : brutale. On se couvre peu et au regard de ce qui se déplace autour de nous, il n’y a clairement pas de canon de beauté local : le Hellfest Body, c’est avoir un body et l’emmener au Hellfest.

Les choses sérieuses commencent vite cette année. Notre petit chouchou Leprous envoie sur la MainStage ses sonorités mélancoliques et énergiques dans une atmosphère lumineuse et caniculaire que l’on aurait imaginée désaccordée avec sa musique. Du talent, de l’aplomb et de l’audace : les norvégiens sont impériaux avec un set où la virtuosité n’annihile jamais l’énergie.

Urban Dance Squad ou le retour en arrière dans la fusion 90´s. Rude Boy n’a pas perdu de son flow. DJ et grosses guitares, on embraye sur quelque chose de beaucoup plus basique, mais pas moins efficace. Ceci posé, du scratch, voilà un son qui nous ramène loin. Ça grisonne dur derrière les platines…

Mordred, toujours sur la Warzone écrasée par la chaleur. Ces types, particulièrement le chanteur, arborent un look de wise guys jaillis d’un film de Scorsese, mais leur seule arme, et elle est efficace : un thrash mâtiné de funk particulièrement percutant.

Retour sur la MainStage avec Opeth qui ne faillit point une fois de plus. Nonobstant une luminosité et une température guère en phase avec leur musique sombre et torturée, le groupe délivre un set magistral. Parvenant à faire passer sans difficulté son death prog teinté de saveur 70’s, on se fait à nouveau embarquer pour un voyage épique. « Deliverance » ou comment rappeler fermement à quel point on est encore à la pointe du genre.

La chaleur est insoutenable, nécessitant des pauses à l’ombre régulières. Les abominables Offspring justifient de toutes façons la fuite (nonobstant Josh Freese derrière les fûts, pour ceux qui savent).

Mastodon, probablement le meilleur combo de l’époque, ici avec un clavier en plus, va une fois de plus faire montre de sa maestria hors norme. Jouant aussi bien leurs tubes du dernier album que des morceaux expérimentaux et brutaux, ils rappellent qu’ils sont libres et que leur machine aussi destructrice que psychédélique dévore tout sur son passage.

L’enchaînement de ces trois groupes - Leprous, Opeth, Mastodon - en tous points exceptionnels donne à la poursuite de la journée une tendance erratique, tant il sera impossible de faire mieux. Dog Eat Dog sur la Warzone semble ainsi sympathique mais bien faiblard après ces déluges métalliques et mélancoliques. On opte pour l’hydratation, l’alimentation et un brin de shopping. La nuit tombe et un semblant de fraîcheur s’installe.

Comme souvent le soir venu, les choses s’accélèrent, mais si la journée a été riche, les températures irréelles subies obligent après quelques heures à ralentir le pas et à goûter un peu de la plénitude que nous a déjà offert cette journée sensationnelle.

Baroness, on aurait envie d’aimer ne serait-ce que pour la sémillante guitariste Gina Gleason, mais bon Dieu que c’est plat. On attend donc à l’extérieur de la Valley, l’oreille vaguement distraite, les fesses bien calées dans l’herbe tendre.

C’est dommage maintenant qu’il fait enfin frais on a des concerts sous tente (on découvrira le lendemain que si on s’épargne la brûlure du soleil, la température sous cloche n’est pas moins insupportable). Abbath et son groupe, tout maquillés qu’ils soient, donnent un indéniable parfum rock n’roll à leur black métal. Pas la moindre finesse dans leur musique et c’est ça qui est délicieux. Un crapaud éructant sur des tempos aussi frénétiques qu’écrasants.

Cette journée batteurs de folie (Baard Koldstadt, Brann Dailor) s’achève avec les Deftones (Abe Cunningham derrière les fûts). Décidément en retour de forme, leur sauvagerie éthérée trouve sa place dans l’obscurité et ne se noie pas dans l’immense espace bien rempli de la MainStage 1. Ceci dit, à l’exception de quelques hymnes et pour convaincre complètement, leurs notes délicates mériteraient peut-être un écrin plus délicat.

La nuit est chaude, elle est donc sauvage, on va jusqu’au bout de cette dernière avec Suicidal Tendencies. La formation a connu moult moutures, mais de l’origine il n’en reste qu’un : Mike Muir (chant). Ça va loin ce projet de survie dans le renouvellement continu, parce qu’à la basse il a recruté… le fils du bassiste légendaire de son groupe, Robert Trujillo. On ne prend pas tout à fait les mêmes, mais on recommence.

Malheureusement ce groupe, même sans cesse rajeuni, vieillit mal : voilà plusieurs années que l’on se fade une ébauche de set-list toujours identique avec des bouts de titre joués de manière interminable entre des speechs de Mike Muir, vieux blanc qui a vécu et qui va nous expliquer la vie. Dave Lombardo, le cogneur emblématique du thrash (Slayer), qui a assuré un temps un intérim de luxe, semblait avoir remis bon ordre à tout ça. Las, il est parti jouer les remplaçants de luxe chez Testament. Et ça se sent tout de suite : Le premier morceau va durer 16 minutes entre l’intro, les speechs, l’outro qui n’en finit pas etc. (« You can’t bring me down » éternel comme un morceau de prog qui l’eut cru ?). Sur un set d’à peine une heure et après quarante ans de carrière, c’est assez désolant. C’est d’autant plus dommageable que quand ça joue, c’est tout de suite incroyable, et on pourrait tout pardonner (« How will I laugh tomorrow (if I can’t even smile today)  » qui a littéralement révélé le potentiel de cette formation rajeunie).

Tout cela nous a fait coucher bien tard, et on rentre fourbus. Qu’importe, demain, il fera beau.

Jour 2 - 18 juin 2022

Einhejer, groupe au nom imprononçable et dont on ignorait tout, ouvre pour nous les hostilités du jour. On lit dans le programme - oui, il nous arrive de lire le programme - qu’ils seraient précurseurs d’un genre pourtant abominable, le viking metal. Pourtant ils sont sobrement vêtus et leur musique n’est pas désagréable. C’est souvent comme ça avec les précurseurs, c’était bien au début, c’est ensuite que ça a dérapé.

Loudblast, vétérans du death metal français, produit aussi peu d’air dans sa musique qu’on en trouve dans notre environnement immédiat. Comment fait-on jouer pour jouer aussi puissamment par de telles températures se demandent les spectateurs ? Comment faites-vous pour tenir à nous écouter dans les mêmes conditions s’interrogent les artistes ?

Nous restons parfaitement immobiles sous les assauts de la double pédale, mais nous suons pourtant en continu… « Foutez-moi un putain de bordel !!!  » hurle Stéphane Buriez sous l’Altar. Ce serait bien volontiers Stéphane, mais là c’est vraiment impossible avec cette température.

Après un passage éclair sur la Warzone pour écouter du rockabilly français (oui, ça existe), puis une pause à l’ombre des arbres, nous voilà dans la Valley avec Pélican. Cette année la programmation de cet espace s’est avérée pour l’instant assez peu intéressante, nous l’aurons donc moins fréquentée que d’habitude.

Un peu de stoner instrumental n’est en out cas pas pour déplaire, si le pélican est un oiseau lourd, il sait voler. Nous entrons dans une bien belle transe.

Rival Sons, c’est un peu du blues rock putassier, de la musique blanche pour distraire les hommes en noir. Guère convaincu, on prend la tangente pour rejoindre la Valley où se produit un groupe de doom italien qu’on attendait avec impatience : Messa, combo porté par une chanteuse aussi gracieuse d’apparence que de voix.

La lourdeur de la guitare et de la basse sert de tapis volant aux vocalises enchanteresses de cette créature venue d’un autre monde (transalpin pour le moins). Un moment suspendu dont on est sortis remués et émus.

Megadeth semble connaître un retour de forme, Dave Mustaine a viré tout le monde, et les plus ou moins jeunes remplaçants ont le sang chaud. Mais on va vite préférer l’énergie encore bouillonnante des pourtant à peine moins jeunes Sepultura. On s’esquive donc vers l’Altar pour prendre position.

Dès le début du concert (« Arise  » puis « Territory », excusez du peu), le chaos est total. C’est un déchaînement généralisé du public, s’abandonnant dans une énorme bagarre comme pour se réconforter tous ensemble d’avoir été ainsi privés de tant de joies semblables durant ces trois années. L’idée même de « distanciation sociale » ou de « gestes barrières » est ici pulvérisée et pourtant dans cette saine brutalité, on « prend soin des autres ». La réparation des âmes blessées dans le choc des corps épuisés, mais diablement vivants.

Deep Purple, dont nous assistons à la fin du set, la nuit une fois tombée, joue heureusement à une température plus raisonnable pour des garçons somme tout assez âgés. Ceci posé, même si cela semble bien paisible après notre heure de furie brésilienne, ils jouent encore fort bien et le poids des années n’a pesé qu’à la marge sur leur swing éternel.

Ça nous fait en tout cas une élégante musique d’attente en attendant Ghost. Tobias Forge, alias Papa Emeritus, leader omnipotent des inventeurs du Scooby Doom, où celui qui a décidé tout seul qu’on aurait encore le droit de rigoler. Mais le garçon sait que rire est une chose sérieuse et il ne laisse rien au hasard. Il compose des chansons irrésistibles, les fait interpréter par des pointures masquées (sept musiciens l’accompagnent ce soir !) et emballe l’ensemble dans un spectacle chamarré et ébouriffant.

Une sacrée progression depuis le premier spectacle bien plus austère, donné dans les mêmes lieux sous une tente en début de journée en 2011. Aucune nostalgie toutefois, la place d’entertainer métal de moins de soixante-dix ans était libre, il était urgent que quelqu’un la prenne.

Et après ? Il s’est mis à bruiner, il était tard et on est rentrés se coucher.

Jour 3 - 19 juin 2022

Lever difficile, et ce d’autant… qu’il me faut prendre le train et rentrer au bercail, écourtant le Hellfest, quand c’est le plus long de son histoire…

A force de ne pas y croire, et bien que titulaire du pass depuis près de trois ans, je me suis si mal organisé que j’ai même failli ne pas en être du tout (un grand merci à mes sponsors sans qui…). J’ai finalement dû me résoudre à sacrifier une seule journée, pourtant et évidemment riche en perspectives heureuses.

Le dernier jour restera donc rêvé, on ne l’a vécu un peu et à distance que par Whatsapp. Ce fil de conversation virtuel des copains festivaliers, ininterrompu de longue date, qui s’est remis à méchamment crépiter à l’ouverture des hostilités. On y glane des informations aussi essentielles que : ce qu’il faut écouter, qui a à boire (un pichet !) et où se retrouve-t-on.

J’aurais probablement commencé la journée par Regarde les Hommes Tomber, quintessence de la crème de la crème du black metal français. De la mécanique brutalité en début d’après-midi, idéal pour partir du bon pied.

Il y aurait peut-être eu moyen, entre deux galettes saucisse, de goûter aux plaisirs discutables de Doro et Jinjer sur les Mainstages. La vieille rockeuse fait généralement le show, quant aux ukrainiens, il est de saison de les soutenir.

Même si ce groupe ne donne peut-être pas autant qu’il promettait, je suis certain que le concert de Red Fang sous la Valley a dû être sautillant comme il faut. On me racontera.

Entre Down et Life of Agony, j’aurais opté pour les deuxièmes, plus rares et finalement plus intenses. Groupe de ma jeunesse, vu notamment à l’Arapaho (oh, les beaux jours), aussi hardcore que mélancolique et douloureux. Leur précédent concert en ces mêmes lieux était entré directement dans mes meilleurs concerts du Hellfest, et peut-être même de mon existence.

Et ensuite, dans l’embouteillage horaire final, serait venu le temps des dilemmes et des sacrifices. Faut-il que la curiosité l’emporte sur le déjà-vu ? Alcest ou Walls of Jericho ? Les anciens contre les modernes ? Judas Priest ou Perturbator ? Et pour finir, la froide brutalité ou la saine violence (ou l’inverse) ? Watain ou Sick Of It All ?

Seule certitude : les minutes de marche au milieu de la nuit jusqu’au véhicule auraient été les plus harassantes. Plus de jambes, plus de voix, et l’âme transpercée de fulgurances mélancoliques tempérées d’éclats de rire.

Je vous épargne une chronique d’un Hellfest fantasmé du week-end suivant où je n’irais pas non plus, mais là, je n’avais même pas envisagé d’en être. J’avais, de manière saugrenue, imaginé que ça ferait trop (!?). Mais du Hellfest, on n’a jamais trop (surtout quand on n’en a pas eu assez). Peut-on en effet se sentir trop vivant, quand il s’agit simplement de se sentir terriblement vivant ?

Sébastien Bourdon

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.