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« Le cas Jekyll » de Christine Montalbetti avec Denis Podalydès – Espace 1789 le 4 avril 2012

mardi 10 avril 2012, par Sébastien Bourdon

The Devil Inside

Lorsque se sont écartés les rideaux et que Mister Hyde est apparu sur la scène, dans une semi-obscurité, appuyé sur deux cannes, vêtu d’un long manteau et portant petit chapeau, il m’a semblé voir Freddy surgissant de la nuit (Wes Craven). Puis, en arrivant dans la lumière, il s’est défait de ses oripeaux pour devenir le jeune Docteur Jekyll. Et c’est ainsi que, dès les premières secondes, Denis Podalydès sidère les spectateurs. D’un monstre potentiel, il redevient en un instant un homme sympathique, sur le point de narrer une histoire drôle et terrifiante.

La pièce revisite un monument de la littérature mondiale, la nouvelle de Robert Louis Stevenson « L’étrange cas du Dr Jekyll et M. Hyde ». Un narrateur, Jekyll, seul en scène, raconte à l’un de ses amis, dans un élan testamentaire, les expériences scientifiques qui l’ont amené à concevoir un monstre, double de lui-même. Etre dépassé par sa propre invention se révèle tragi-comique, et l’ensemble recèle de moments drolatiques. Mais le fond est naturellement effrayant et avec peu de choses, un jeu subtil d’acteur, quelques lumières, l’on voit Jekyll petit à petit envahi, puis supplanté, par cette créature abominable qu’est Hyde, monstre qu’il a lui-même enfanté.

C’est un ressort classique que de voir l’inventeur dépassé par sa création. Ainsi, Jekyll part du principe que l’homme est travaillé par une dualité intrinsèque, son âme étant le lieu d’un affrontement permanent entre le Bien et le Mal. En savant, il rêve alors d’isoler l’un de ces deux composants, pour créer une forme pure d’humanité, si abjecte soit-elle. Médecin sérieux le jour, joueur de cartes et amateur de filles faciles la nuit, il fait alors de lui-même le terrain de ses expériences. Et c’est ainsi qu’avec force fioles et potions, il parvient à créer la créature paroxystique qu’est Hyde, surgissant la nuit tombée et commettant les pires abominations, à peine dissimulé par le brouillard londonien. Puis, inexorablement, Jekyll perd la maîtrise de sa créature pour n’être plus que cette dernière. La seule issue sera alors la mort.

Dans cet exercice périlleux, incarner un schizophrène en somme, Denis Podalydès est magistral. Voilà en effet le rôle idéal pour un « numéro d’acteur », qu’il serait tentant de cabotiner, de grossir le trait, d’exagérer en permanence pour impressionner le chaland. Le comédien évite pourtant toutes ces chausse-trappes pour subtilement incarner un personnage double, aussi à l’aise dans le vain refoulement de Jekyll que dans la pulsion violente et libératoire de Hyde. Il campe ainsi impeccablement un bloc de souffrance qui tente sans succès de rester ce qu’il croit - ou espère - être lui-même.

La langue est superbe – français comme anglais – et parfaitement maîtrisée par un acteur qui partage ici de manière communicative son appétit des mots. La mise en scène est subtile, saupoudrée ça et là de quelques idées modernes (l’antédiluvien lecteur de cassettes qui nous permet parfois d’entendre – à défaut de voir – les abominations commises), sans jamais que ce soit vain ou prétentieux. Enfin, le décor est sobre, mais renvoie habilement à la destruction qui ne pourra que conclure ce conte : la pièce n’a pas commencé que nous sommes déjà face à un paysage dévasté.

L’idée qui gouverne cette relecture du texte de Stevenson est que le Docteur Jekyll ne serait au fond qu’une invention de Mister Hyde, au lieu du contraire comme on le pense communément. Nous serions en réalité tous des monstres qui parvenons tant bien que mal à nous travestir en honnêtes gens. Nous ne sommes donc jamais tranquilles et si Hyde nous fait si peur, c’est qu’il est en nous, que la bête peut à tout moment surgir, puisqu’en réalité, elle règne. L’inhumain n’est-il pas le propre de l’humain ?

Tout était de nature à formidablement stimuler l’intellect dans ce spectacle, nous emplissant d’un plaisir immense et rare. Il était toutefois parfois surprenant d’entendre les gens rire encore lorsque de la plaisanterie l’on glissait au massacre, mais peut-être était-ce pour certains une manière comme une autre de résister à la gêne effrayée qui pouvait nous envahir face à cette évocation glacée de la singulière nature humaine.

Sébastien Bourdon

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