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« Yoga » d’Emmanuel Carrère

mardi 3 août 2021, par Sébastien Bourdon

Shavasana

C’est l’histoire d’un écrivain qui va bien depuis dix ans, ce qui n’a pas toujours été le cas, quand il a pourtant connu - et plusieurs fois - la gloire et les honneurs. Cette forme de petit miracle lui donne envie d’écrire un livre sur le yoga, activité qu’il pratique depuis toujours ou presque. Ce serait un livre heureux et didactique, avec ce qu’il faut d’implication, mais aussi de distance souriante. Et tout à coup, sans crier gare, l’ombre derrière lui ressurgit et l’absorbe : au cours d’un stage de méditation dans le Morvan débute un effondrement qui l’amènera jusqu’à être hospitalisé en soins psychiatriques.

Carrère ne tente pas ici de nous vendre une méthode pour la paix de l’âme, il n’y est lui-même pas arrivé, c’est donc l’histoire d’un échec, mais aussi celle d’un refus du renoncement, ce qui en fait tout le sel.

L’auteur ne croit pas au miracle New Age et considère, à juste titre, qu’il y aura toujours plus de beauté dans la littérature que dans des types qui font des câlins aux arbres. On n’a donc pas affaire à un illuminé, mais à quelqu’un qui a pioché ça et là dans les livres et dans une gymnastique quotidienne de quoi tenir le parcours d’une vie.

Puisque tout s’effondre au-dedans (dépression grave) et au dehors (attentat de Charlie Hebdo, migrants échoués sur les plages grecques etc.), il reste à se faire soigner et à coucher tout cela avec des mots qui font des phrases, qui font des paragraphes, qui font des chapitres, qui font un livre. Parce ce qu’évidemment il y a aussi l’écriture, sinon on ne serait pas là pour en causer.

Ce récit autobiographique se veut d’abord sincère, sans forcément être certain qu’il le soit toujours, mais c’est ça aussi la littérature. N’empêche, à le lire, le Roi est nu.

Carrère se voit irrésistiblement tomber mais s’accroche, sans aucune franche conviction sur quoi que ce soit, si ce n’est que la vie vaut éventuellement la peine d’être vécue.

Ils ne sont pas nombreux à avoir une telle aura littéraire nationale et internationale et il serait donc facile - et pourquoi pas - de rapprocher Emmanuel Carrère de Michel Houellebecq, écrivains poids lourds de la même génération. Au jeu des sept erreurs entre ces deux incontournables, on pourrait par exemple relever que l’un a abandonné la fiction depuis belle lurette, quand l’autre s’y accroche obstinément, même si elle se frotte sans cesse à l’actualité jusqu’à la devancer parfois (Houellebecq donc).

Surtout, celui qui semble refuser de se dérober au réel (Carrère si vous suivez) est celui qui ne renonce pas devant le mur : qu’importe l’intensité atroce de ma souffrance psychique, qu’elle soit même inaudible ou inacceptable face au malheur tangible du monde, avec ce que j’ai, je vais m’organiser une forme de résistance.

C’est peut-être ça le yoga. Ça ne sert probablement pas à grand chose, mais qu’est-ce qui empêche de quand même s’y tenir (et sur la tête tant qu’à faire).

Sébastien Bourdon

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