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Tant qu’il y aura des Hommes

"Un Homme" de Philip Roth

dimanche 12 mars 2017, par Sébastien Bourdon

"Un Homme" de Philip Roth (2007)

J’ai longtemps cotoyé un libraire qui me disait "se méfier des écrivains encore vivants". La tournure me plaisait bien, la posture me convenait assez. Cela relevait en réalité d’une forme de snobisme ridicule, quand il nous est arrivé de goûter des auteurs même pas morts, parfois français, mais surtout américains, de Russel Banks à James Ellroy, en passant par - paix à son âme récemment envolée - Jim Harrison.

Poussé par de précieuses et légitimes recommandations à mettre enfin un terme à ces afféteries, on s’est plongé dans l’oeuvre dense de Philip Roth, que tout le monde avait lu, sauf moi (évidemment il s’agit là d’un "tout le monde" de majesté, on ne parle pas de n’importe quelle lectrice ou de n’importe quel lecteur).

Après avoir affronté en un singulier combat la prouesse littéraire que constitue "La Tache", l’occasion nous a été donnée de se colleter avec le roman plus court et ramassé dont il va être ici objet.

Qu’est-ce qu’être un homme occidental dans un territoire sans guerre, autre que Froide ou économique ? Comment aborder la trajectoire d’une existence sans gloire particulière ? Les vicissitudes et aléas d’une vie tout juste ordinaire, si tant est qu’une telle chose existe, dessineraient malgré tout un parcours duquel ne serait pas exclu une forme de grâce douloureuse.

Pour narrer cette existence, Philip Roth prend surtout appui sur le corps de son protagoniste, qu’il soit désirant ou souffrant. Habilement, le livre commence par l’effacement définitif de l’enveloppe charnelle du personnage, puisque s’ouvrant sur ses funérailles. Au cours de cette ultime cérémonie, non exempte d’un humour grinçant, Roth rappelle au lecteur que l’issue sera la même pour tous, avec des gens qui nous pleureront, quand d’autres nous auront toujours trouvé terriblement fatiguant.

Ce publicitaire de carrière aura ressenti cet organisme qui le porte comme son plus fidèle ennemi, menaçant de rompre dès l’enfance (péritonite) puis à de multiples reprises l’âge venant. Evidemment, il fut aussi le support ailé de grandes joies sensuelles - se baigner dans les vagues - ou sexuelles - les cabrioles avec les femmes de passage, ledit passage étant plus ou moins long.

Roth s’attache à décrire ce corps, sans jamais être clinique ou scabreux. Notre infernal véhicule corporel, à la fois dépendant de nos besoins et pulsions, mais si capricieux dans leur exécution, tant les freins de l’âme et les fragilités physiques empêchent fréquemment leur plein accomplissement.

Le protagoniste de ce roman sombre mais incroyablement vivant est un homme perdu dès le départ (un homme donc). Il va devoir faire avec une existence absurde à l’issue fatale certaine, que le travail ou la reproduction ne justifient pas plus, même si ces occupations plus ou moins prenantes permettent de ne point trop tout le temps s’interroger.

Seule la maladie, de plus en plus prégnante et envahissante, l’obligera à se confronter plus franchement encore à la cruauté du temps qui passe, le privant progressivement de son pouvoir de plaire, et de manière plus globale, de son appétence pour la vie.

Il va de soi qu’une telle oeuvre n’offre pas de solution : poussière et cendres, ce serait vacuité que d’imaginer donner un sens à tout cela. Malgré cette intrinsèque noirceur, Roth ne manque pas de décrire les quelques échappatoires vitaux qui font qu’une vie ne se résume pas à l’angoisse continue d’un sort inévitablement funeste.

L’oeuvre se lit vite mais vous habite longtemps. Il n’est pas si fréquent qu’un livre colle de si près à nos existences terrestres. Mieux encore, l’ouvrage en serait presque réconfortant : nous ne sommes pas seuls.

Comme le dit la fille citant son père devant la tombe sur le point d’être définitivement refermée, "il faut tenir bon et prendre la vie comme elle vient".

Sébastien

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