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« Némésis » d’après Philip Roth, mise en scène Tiphaine Raffier - les Ateliers Berthier

mardi 28 mars 2023, par Sébastien Bourdon

Le Réconfort dans la Souffrance

2010, Philip Roth met un point final à « Némésis », puis pose son stylo pour ne plus jamais le reprendre, ce sera son dernier roman. Il décède huit ans plus tard.

Newark, New Jersey, 1944 : l’épouvante guerrière poursuit son œuvre partout dans le monde, quand ici les enfants sont victimes d’une épidémie de polio entraînant une psychose dans la population. La ville est comme frappée d’une malédiction, des enfants meurent ou deviennent paralytiques, qu’est-ce qu’on a bien pu faire au Bon Dieu pour mériter ça ? De si beaux jeunes juifs, sportifs et travailleurs, figures exemplaires d’une communauté qui refuse que l’Amérique soit elle aussi une terre de malheur.

Bucky Cantor (Alexandre Gonin) est une personnalité locale, il s’occupe du terrain de sports et de la jeunesse qui le fréquente. Profondément humain et moral, il fait de chacune de ses tâches une responsabilité qu’il lui appartient d’accomplir avec implication. Ce mal qui frappe la localité, il lui semble possible que l’on puisse y faire face, ne serait-ce qu’en respectant des règles strictes qui, forcément, protègeront : hygiène et sécurité, tel est son credo alors que le deuil et la peur règnent sur la ville.

Lassé, alors que l’on appelle au confinement faute de freiner l’épidémie, il part dans un camp de vacances paradisiaque dans les montagnes y retrouver la femme qu’il aime. Frappé d’impuissance face au désastre, le voilà maintenant écrasé par la culpabilité d’avoir abandonné Newark.

La pièce se divise en trois parties, illustrées par des changements radicaux de décors et d’atmosphère. L’ouverture est ainsi étouffante de noirceur funèbre, et l’action se développe dans une quasi obscurité, rythmée par une musique bourdonnante et lugubre (jouée en fond de scène).

L’échappée vers les montagnes est lumineuse et gaie, mais jamais la menace ne disparaît, la joie est forcée et incongrue. L’ironie de Roth fait ainsi s’amuser une jeunesse dorée dans un camp de vacances où tout porte le nom d’une tribu indienne décimée (Indian Hill). On danse sur les morts et on s’affuble même de leurs costumes.

La dernière partie de la pièce a la force de la révélation, le décor s’effondre, le narrateur (Maxime Dambrin) qui a en réalité toujours été là, mais invisible, prend la parole et animé par une fougue décuplée par la musique clôture la pièce dans une coda sidérante.

La mise en scène de Tiphaine Raffier est prodigieuse d’inventivité et de créativité : ainsi de l’utilisation parfaitement juste de la lumière, de l’image ou de la musique, tout cela pour accompagner sur scène près de trente comédiens (dont huit enfants et cinq musiciens). Mais ces moyens ne sont jamais forcés, nous ne sommes pas dans l’étalage de richesses, mais plutôt dans l’exploitation brillante de ressources au service d’un texte, d’une pensée.

La pièce plonge aux tréfonds de l’âme humaine, questionnant cette malédiction atavique qui nous pousse à toujours essayer absurdement de comprendre l’incompréhensible et à y chercher ce qui relèverait de notre responsabilité (et alors l’expliquerait). Partant du principe qu’il serait forcément coupable, Cantor décidera d’une vie au rabais, s’infligeant une punition divine que personne ne lui a demandé. En effet, Dieu n’existe pas et qui mieux que nous et nos semblables pour ajouter encore au malheur du monde ? C’est ce constat désespérant que fait le narrateur dans ce final éblouissant, parce que malgré tout, envers et contre tout, subsiste toujours une forme de grâce. Du grand art.

Sébastien Bourdon

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