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Moulinsart (de vivre)

dimanche 10 septembre 2023, par Sébastien Bourdon

Le journal Tintin a 77 ans nous apprenait l’autre jour la matinale de France Culture, avec force invités pour nous en parler, à l’occasion de la sortie d’un numéro spécial conséquent pour le célébrer : 400 pages, 80 dessinateurs. Le concept est toutefois un peu étrange car on fête là un mort, l’hebdomadaire étant aux abonnés absents depuis le mois de novembre 1988.

L’émission radiophonique s’interrogeait finalement plus sur l’œuvre d’Hergé et ce qu’il en reste, que sur un magazine illustré qui fut pourtant d’une richesse incroyable, toutes époques confondues, amenant sur le devant de la scène des auteurs connus comme en devenir (de Franquin à Edgar P. Jacobs en passant par Macherot, Derib, Dany, Tibet et Duchateau ou encore Rosinski et Van Hamme).

Les exemplaires de mes oncles, soigneusement reliés par mon arrière grand-mère, me semblaient être des grimoires antiques rares et précieux, mais il s’avère que les miens, dûment reliés par ma grand-mère, sont aujourd’hui en réalité plus anciens encore pour mes descendants que ne l’étaient les précités pour moi (suis-je clair ?).

Il fut de bon ton de traiter Hergé de réactionnaire moisi quand l’essentiel de ses livres promeuvent l’ouverture à l’autre et à sa culture. Le rire est général, mais on s’y moque surtout des policiers, des dictateurs et des malhonnêtes, ce qui ne caractérise pas le réactionnaire, on en conviendra. Au fur et à mesure, Tintin ne cesse de s’interroger, faisant du petit reporter à houppette un des premiers à se méfier des apparences, prémices du complotisme médiatisé et mondialisé (« Les Bijoux de la Castafiore » - 1963).

Pierre Assouline, biographe d’Hergé, rappela sur les ondes une fois encore combien il était d’abord question de sensibilité. Sans jamais être idéologue, ni partisan, le plus fameux dessinateur belge, a finalement surtout donné une teinte profondément humaniste à son opéra de papier.

Hergé est mort depuis longtemps, son journal aussi, que reste-t-il de tout cela aujourd’hui ? La fondation Hergé tente dans un double mouvement presque contradictoire de faire perdurer Tintin : par des efforts commerciaux continus (pas toujours de bon ton, comme la colorisation d’albums) et un véritable acharnement à empêcher toute reproduction ou citation. Cela donne une impression un peu triste de faveur toujours donné au business plutôt qu’à la liberté d’appropriation et de réinterprétation d’une des œuvres littéraires et artistiques les plus fortes et marquantes du XXème siècle (l’ancêtre du journal Tintin ne s’appelait-il pas « Le Petit Vingtième » ?).

Difficile de dire ou prédire qui s’intéressera encore à Tintin comme aux auteurs que le journal a porté toutes ces années. Est-ce que tout ça ne serait pas déjà un peu mort, à tout le moins zombie ? Que vaut une BD ligne claire face à un défilé de « shorts » sur YouTube ou Instagram ?

On n’a de ce côté ci du clavier jamais cessé de trouver là-dedans un port dans lequel on revient toujours (un port d’attache, par essence). Et lors de l’exposition parisienne récente à l’atelier des Lumières, sur la musique de Pink Floyd ou d’Iggy Pop, la puissance du dessin d’Hergé envahissait l’espace, pour la joie des petits certes, mais restituant aux adultes la puissance d’évocation que les lectures d’enfance avaient eu sur eux il y a quelques paquets d’années.

Qui vivra verra, mais en attendant, mille sabords, ça tient, on s’y tient et on y tient.

Sébastien Bourdon

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