Accueil > Littérature > « Caligula » d’Albert Camus - mise en scène de Jonathan Capdevielle - T2G (…)

« Caligula » d’Albert Camus - mise en scène de Jonathan Capdevielle - T2G Gennevilliers

lundi 9 octobre 2023, par Sébastien Bourdon

Stayin Alive

Camus, travaillé par l’inquiétude de pouvoir reproduire le miracle pourtant réitéré de romans et essais aussi puissants qu’ayant rencontré un large public, avait un temps envisagé d’approfondir sa carrière embryonnaire de dramaturge. La mort ne lui en a pas laissé le temps et la lecture de l’inachevé « Le Premier Homme » achève de convaincre que le romancier maîtrisait encore pleinement son art. Surtout, et c’est un lieu commun de le dire, son œuvre résonne toujours, quand bien même il parlerait d’autres temps et d’autres hommes, directement ou par référence.

« Caligula » fit l’objet d’une première version en 1941, puis fut revue par Camus en 1958, épurée de son romantisme et plus directement politique. Il ne s’agissait probablement plus de parler uniquement de résistance nécessaire à l’oppresseur - Hitler - mais aussi d’évoquer des idéologies a priori moins directement mortifères, mais dont le désastre criminel était déjà largement établi en 1958.

Lorsque la pièce commence, le tyran fou et sanguinaire est encore en devenir, et Caligula lui-même se fait fort d’expliquer à ses sénateurs son projet politique. Comment se fait-il qu’avec tant de pouvoir, il ne puisse changer le cours des jours ou attraper la lune ?

« Gouverner c’est voler », et il se propose notamment de déshériter toute la population en faveur de l’Etat, concept soviétique s’il en est.

Convaincu de ce que « les hommes meurent et ils ne sont pas heureux » et avec une brutalité grandissante et la conviction d’être d’une sincérité absolue, l’empereur va se jeter dans le vice et le crime. On est artiste car privé de pouvoir, Caligula ne l’accepte pas et devient créateur dans le viol et l’assassinat.

L’on ne pourrait faire reproche à Capdevielle d’avoir privé sa mise en scène d’une créativité et d’une inventivité folles. La scène est un haut rocher que l’on croirait arraché à une falaise méditerranéenne, sous lequel un couloir mène à des ellipses où les acteurs poursuivent la pièce, quand ils ne se jettent pas du haut de ce dernier vers des profondeurs marines imaginaires.

Le texte est respecté à la virgule, les ayants droits de Camus rigolent moyen avec l’œuvre, mais tant le jeu que ce qui se passe sur scène le rend parfois assez peu intelligible. Le ton des comédiens, d’abord souvent monocorde - probablement volontairement puisque rendu possible par l’emploi de micros HF - écrase le propos et ce d’autant qu’est pratiqué un important travail sur la sonorisation du spectacle.

Puis avec le développement de l’intrigue, le bruit et la fureur envahissent la scène, jusqu’à l’obscénité et le délire, l’ensemble se révélant parfois assez éprouvant pour le spectateur. Il devient alors réellement compliqué de s’accrocher au texte, ce dernier se noyant sous l’excès de représentation.

Pourtant, si l’on parcourt ensuite le texte à tête reposée, on découvre une pertinence et un humour caustique intacts : « Il faut un jour pour faire un sénateur et dix ans pour faire un travailleur ». Il est certain que l’on n’a pu que très vaguement le ressentir dans la salle du T2G, débordés que nous étions par ce qui se passait sur la scène.

Sébastien Bourdon