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« Un Amour » de Dino Buzzati (1963)

lundi 1er mars 2021, par Sébastien Bourdon

Ain’t no cure for love

Le titre (« Un Amore  ») précise ce dont il va donc être question : c’est un amour parmi tant d’autres, comme tant d’autres, mais évidemment intrinsèquement unique.

Antonio a cinquante ans, on ne sait pas grand chose de sa vie. Il est probablement mal à l’aise avec la gent féminine, mais il se distrait parfois les sens dans un bordel milanais. C’est là qu’un jour on lui offre les charmes d’une nouvelle recrue, Laïde, jeune danseuse de 20 ans.

Ce rapide frottement tarifé ne lui fait tout d’abord pas un effet massif, mais un sentiment se met à l’envahir inexorablement, et même si le titre nous avait averti, le lecteur s’en trouve aussi surpris que le personnage. Antonio tombe éperdument amoureux de cette étrange jeune femme qui sans cesse lui échappe.

C’est un amour improbable, tant rien ne les unit : de la différence d’âge - trente années d’écart - au milieu socio-culturel, bourgeois cultivé pour lui (il s’occupe des costumes de scène à la Scala), populaire et fruste pour elle.

Si notre pauvre héros comprend bien le sentiment qui l’a envahi, il n’en maîtrise rien et ne cesse de se désespérer de l’être aimé. Il se découvre prêt à toutes les compromissions pour ne pas perdre Laïde, ou du moins pour avoir la sensation rassurante mais immorale - puisque monnayée - qu’elle est à lui.

Antonio prend des voitures au petit matin pour aller la chercher à l’autre bout de l’Italie, il n’en sera même pas remercié évidemment, mais le temps du trajet dans une nature en éveil lui donne une occasion de disserter en solitaire sur ses sentiments. Il comprend ainsi que même s’il est absolue souffrance, il n’est de beauté terrestre possible sans qu’elle se teinte d’un amour, quel qu’en soit la forme ou l’objet.

Ces envolées philosophiques se cognent toutefois vite et sans relâche aux puits de souffrance sans fond dans lesquels il ne cesse de se noyer. Il imagine ainsi dans les boucles de son cerveau traumatisé Laïde cédant aux bras de fanfarons à la virilité plus assurée que la sienne. De sémillants mâles qui s’en empareraient comme de n’importe quelle autre greluche, quand elle est pour lui aussi essentielle que l’oxygène qu’il respire.

Traduire cette errance désespérée en pages noircies n’était pas exercice facile, d’autant qu’on ne quitte jamais le point de vue d’Antonio. La plume de Buzzati s’emballe avec les pensées du protagoniste, les ponctuations s’estompent avec l’accélération de ses pensées, nous emportant irrésistiblement dans son désespoir morbide.

Il s’agit en somme de décrire une situation psychique qui a tout du supplice chinois : plus le héros se débat, plus le nœud coulant se resserre. Dans les liaisons dangereuses, chaque petite victoire a immédiatement le goût amer de la défaite.

« Et de quelque côté qu’on la regardât, la situation ne laissait entrevoir aucune issue possible. Rien d’autre ne pouvait l’attendre que rage, humiliations, jalousies et soucis éternels ».

L’impudeur des sentiments est palpable jusqu’à la dernière ligne, avec un final particulièrement brillant, mais il ne faut évidemment point trop en dire.

Sébastien Bourdon

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