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The Game

« Une Ville sous Emprise » de Claire Guédon et Nathalie Perrier – Editions du Rocher

lundi 21 novembre 2016, par Sébastien Bourdon

« Une Ville sous Emprise » de Claire Guédon et Nathalie Perrier – Editions du Rocher

L’objet du livre ici évoqué n’est pas de vous vanter les charmes de la vie à Saint-Ouen, mais plutôt de vous faire découvrir, de manière fouillée et approfondie, une particularité locale. Il ne s’agit certes pas d’un phénomène que l’on ne rencontrerait pas dans d’autres villes, en France comme ailleurs, mais il est en ces lieux extrêmement symptomatique et justifie bien que l’on y consacre un livre et, tant qu’à faire, un bon.

En effet, que l’on vienne de Paris, de banlieue ou de province, et même de Norvège ou d’Italie, quelques semaines passées dans cette ville vous font réaliser que s’y pratique, au vu et au su de tous, le trafic de drogue, dans des proportions assez inhabituelles. Si l’on peut naïvement d’abord croire à de classiques attroupements de jeunes à capuche au pied d’immeubles, on se rend vite compte qu’il s’agit ici d’un commerce parfaitement établi et banalisé.

Cet état de fait semble d’autant plus surprenant que l’on est à la frontière de Paris, jouxtant des quartiers de moins en moins « populaires », et à quelques minutes en métro ou à bicyclette de la Place de l’Etoile. On imaginerait une banlieue aussi proche de la capitale parfaitement normalisée et éventuellement embourgeoisée (ce qu’elle devient quand même un peu), plutôt que haut lieu d’une activité commerciale en principe interdite par la loi et dûment réprimée par les services compétents de l’Etat.

Pourtant, c’est ici que ça se passe et majoritairement pour les drogues douces. Les facteurs qui expliquent cette étrange spécificité locale sont nombreux, mais le premier est sans doute justement l’aspect peu inquiétant des lieux et la faible distance qui sépare cette ville de Paris et de ses nombreux consommateurs potentiels.

Comment en est-on arrivé à de telles proportions, le livre essaie de l’appréhender et de le comprendre, tentant également ça et là d’élargir le débat, en s’intéressant notamment aux questions de la légalisation ou de la dépénalisation. En effet, ces deux voies législatives, souvent rejetées par les politiques par peur de déplaire ou de choquer, relèvent de l’évidence à lire l’ouvrage, pour peu que l’on n’en ait douté jusque là. Las, la lecture des travaux de spécialistes ou des bilans réalisés dans des Etats où de telles mesures ont été adoptées est rarement revendiquée par les décideurs ou les élus. Ce ne serait pas, à les entendre, dans l’air du temps, air pourtant bien enfumé par les vapeurs de marijuana ou les gaz d’échappement.

Les auteurs ont eu le souci de réaliser une chronique de la vie audonienne, s’attachant au plus près des gens qui y vivent, qu’ils soient partie prenante, victimes ou simples témoins du trafic. La lecture fluide de l’ouvrage ramène au constat fait par la série télévisée américaine « The Wire » qui, partant d’écrits de policiers et journalistes sur Baltimore, décrivait de façon crue une réalité urbaine occidentale avec une acuité certaine. Echec des politiques d’aide, ghettoïsation des populations, drogue et violence à tous les étages, avec des institutions étatiques réduites à tenter de vider la mer avec une petite cuillère.

Saint-Ouen ne souffre évidemment pas d’une violence équivalente à celle de Baltimore, ou même à celle de Marseille, mais fait quotidiennement face à un fléau que rien ni personne ne semble pouvoir endiguer. Finalement, c’est de l’initiative locale, entre aide aux devoirs et café associatif, que viennent les signaux les plus forts d’une résistance constructive et intelligente.

C’est notamment sous cet angle et pas seulement celui du trafic incontrôlé que la ville de Saint-Ouen apparaît dans le livre comme une sorte de laboratoire où s’expérimenterait le futur de l’urbanité occidentale, entre fléaux anciens et réflexions futures.

Sébastien

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