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Quelques contre-arguments sur la publicité

mercredi 4 février 2004, par Thomas Bourgenot

La vague de contestation antipublicitaire qui s’abat sur la France en ce moment fait parler d’elle dans les médias, mais, si on parle des manifestations et des procès, le fond du problème n’est quasiment pas débatu.

De la part des personnes qui sont indifférentes face au matraquage publicitaire, un certain nombre d’arguments peuvent être ainsi entendus :

 La publicité ne me contamine pas, car je ne la rergarde pas.
 La publicité accroit la liberté de consommation, et la libre concurrence entre les entreprises.
 La publicité augmente l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir.
 La publicité, c’est de la communication.
 La publicité représente une certaine culture en étant le "reflet de la société".

Nous allons tenter ici de voir si ces arguments sont si pertinents. Bien qu’il y en ait d’autres, je m’attacherais seulement à ceux-ci. Etant donné qu’il me paraisse des plus pernicieux. Il faudrait écrire un livre pour transmettre tous les griefs que l’on peut avoir contre la publicité. Je vais néanmoins essayer de faire court pour qu’on puisse se faire une opinion quelque peu critique.

- La publicité est-elle moins nocive quand on l’ignore ?

Face à une publicité (visuelle, sonore ou audiovisuelle), deux possibilités s’offrent à nous : soit on la prend en compte, on l’analyse et on la juge, soit on l’ignore en rentrant dans une sorte de bulle intérieure, pensant qu’ainsi, elle n’agira pas sur nous, d’autant plus quand le produit vanté ne nous intéresse pas. Le niveau d’attention qu’on lui porte détermine donc la perception finale de la publicité. On pourrait penser que moins on est attentif, moins la publicité nous touche. Mais, en fait, et ce n’est pas moi qui le dit, mais des "psychologues" publicitaires, ce serait plutôt le contraire.

En effet, quand on analyse une publicité, qu’on est attentif à son message, c’est la partie consciente de notre cerveau qui prend le dessus. Le message publicitaire est soumis à notre esprit critique et les chances de trouver des failles dans le spot sont très grandes. En revanche, quand on pense ignorer une publicité, le processus est inversé. Qu’on passe devant sans la regarder avec plus d’attention qu’un passant dans la rue, qu’on fasse la cuisine pendant qu’on écoute une émission de radio coupée par de la publicité, ou qu’on commence une discussion pendant les spots télévisuels, le processus est le même. Ce n’est plus la partie consciente de notre cerveau qui prend le dessus, mais l’inconscient ou le subconscient. Or celui-ci ne fait pas l’effort de soumettre ces "informations" à l’esprit critique. Le message est donc intégré sans que notre raison soit prise à partie.

Mais, ne prenons pas ce qui vient d’être dit au pied de la lettre. Ce n’est pas parce que nous subissons une publicité sans que l’on y soit attentif que nous allons directement acheter le produit, surtout quand nous n’en n’avons pas besoin. Mais, à force de répétition, une familiarité se crée entre la marque et nous. Les différentes expositions au message amènent à un apprentissage automatique. On sait qu’on a déjà entendu parler de telle marque, mais on ne sait pas où. Ne pouvant pas nous souvenir de la publicité, nous sommes enclin à avoir une attitude favorable vis-à-vis de la marque en question.

On comprend alors que les publicitaires ne s’affolent pas de la saturation de l’espace publicitaire, car, qu’on les regarde ou pas, elles font de l’effet.

Sur ce sujet voir :

Pub ambiante

- La publicité accroît-t-elle la liberté de consommation ?

A la base, la publicité a un rôle d’information sur le produit vanté. Elle est censé ensuite nous convaincre que son produit est meilleur qu’un autre. Dans l’absolu donc, il faudrait que chaque produit puisse être vanté pour que chaque "consommateur" puisse avoir un niveau d’information optimal, afin de faire un achat optimum, selon ses moyens et le niveau de qualité désiré. C’est une théorie assez classique de la publicité qui reste très ancré dans l’imaginaire collectif. Mais, cette théorie se voit contestée par la réalité.

L’offre de produits différents, et pour la plupart superflus, est telle qu’une connaissance de chacun sous les différentes marques et les différents modèles est impossible à mettre en oeuvre. En fait, ce sont les tarifs publicitaires qui répondent à ce "problème". Ne peut propagander qui veut, mais celui qui a les moyens. Ainsi, ce sont les plus grosses entreprises qui vont pouvoir "communiquer" le plus. Plus présentes à l’esprit, elles seront plus visitées par les "consommateurs". Ainsi, le plus gros annonceurs fait le tri pour le consommateur. Au lieu d’augmenter le choix, la publicité le restreint. Quand on veut faire ses courses alimentaires, on les fait chez Carrefour, et chez Carrefour, on achète du L’Oréal plutôt que du "rien du tout" (ou "marque de distributeur"), car on pense plus connaître L’Oréal. En même temps, L’Oréal on l’a "vu à la télé", alors, c’est comme s’il faisait partie de la famille.

Pepsi Cola avait fait un test à l’aveugle chez des buveurs de Coca Cola. Ils leur ont fait boire du Pepsi et du Coca Cola sans leur dire quel verre était quoi. La grande majorité préfèrait le Pepsi, mais achetait du Coca Cola. Loin de moi l’idée de vanter Pepsi dans cet exemple. Il est juste intéressant de voir que le premier sur le marché des boissons gazeuses ne l’est pas grâce à son goût "inimitable", mais bien parceque 90% du prix payé par les buveurs de Coca va dans le département marketing de cette entreprise qui a très tôt compris l’intérêt de la "communication" publicitaire.

La publicité ne va donc pas du tout dans le sens de la liberté de consommation, puisque loin d’augmenter le choix, elle le limite. Augmentant les chances des grosses entreprises de "conquérir des marchés", elle biaise le jeu de la libre concurrence en défavorisant les petits qui n’ont pas les moyens de se faire connaître par les média. C’est un jeu dans lequel les plus gros ont plus de chances de gagner, un peu comme un Monopoly à taille mondiale en somme. En même temps, monopoly, ça veut dire "monopole", et c’est censé apprendre le capitalisme aux petits enfants, donc, rien de choquant à tout ça....

- La publicité permet-elle l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir ?

On entend souvent plastroner les rédacteurs en chef des grands quotidiens sur le fait que la publicité garantisse leur indépendance. Permettant de trouver des ressources financières différentes des subventions étatiques, ce type de financement garantirait donc une totale indépendance par rapport au pouvoir politique. La presse, et les médias en général, pourrait alors jouer son rôle de "quatrième pouvoir", se débarassant de tout lien financier avec l’état. En effet, il aparaît difficile de croire qu’un journal financé par un parti ou par un gouvernement puisse critiquer ses points de vue ou ses politiques. C’est pourquoi la plupart des journaux ont décidé de se faire financer par le secteur privé. Ce financement donne effectivement à ces journaux une certaine indépendance. Mais parler d’indépendance tout court laisse un peu de côté certains aspects de ce qu’est l’indépendance. S’il aparaît logique qu’un journaliste n’aille pas "mordre la main de celui qui le nourrit" quand cette main s’appelle l’état, pourquoi en serait-il autrement quand cette main change et qu’elle se nomme l’entreprise ? Quand les rédacteurs en chef parlent d’indépendance, ils pensent à l’indépendance vis-à-vis de l’état. Mais, ils ne précisent pas ce fait. Cela amène à faire croire à une indépendance totale, alors qu’elle est somme toute très partielle.

En effet, c’est un poncif, aujourd’hui de dire que le pouvoir économique a pris le pas sur le politique. Lionel Jospin le disait lorsqu’il était au gouvernement, et le gouvernement actuel, s’il ne le dit pas, ne le démentit pas non plus (voire sur ce point, notament, la Loi sur L’Economie Numérique de Nicole Fontaine faite pour, et en partie par des groupes comme Universal...). Le chiffre d’affaires de certains grands groupes rivalisent avec le budget de certains états. Comment alors penser que le fait d’être financer par le "pouvoir réel" puisse rendre les médias réellement indépendants ?

Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal de l’Opinion Légitime, j’ai nommé Le Monde, avait déclaré "Il me semble dangereux que la vie du journal soit assurée dans une proportion trop large par la publicité, car cela le met à la merci d’un chantage." Il percevait, lui, les risques d’un financement trop grand par la publicité. Aujourd’hui, ce questionnement face à la publicité n’est plus à l’ordre du jour chez les dirigeants du journal. En effet, Jean-Marie Colombani, l’un de ses dirigeants déclarait "La publicité est garante de l’indépendance du journal". On comprend alors mieux pourquoi l’Union des Annonceurs se félicite en 1998 de ce que les infromations communiquées par les entreprises soient "presque toutes" ou "beaucoup" reprise dans la presse.

De même lorsqu’il est arrivé à la tête du journal Libération, Serge July avait déclaré : "Moi vivant, il n’y aura pas de publicité dans Libération". A entendre ces propos, on pourrait se demander : "Mais alors Serge July serait-il mort ?" En effet, Libé a réussi à offrir une partie de sa une à des annonceurs, notament Air Liberté (de polluer en toute impunité...), ou a pu faire des "Spécial cadeaux", vantant bon nombre de produits de luxe. Mais, non, Serge July est toujours vivant. Il a lui aussi chercher l’indépendance de son journal là où il pouvait, c’est à dire, chez les entreprises qui peuvent se féliciter d’avoir transformer Libération en "bon suport publicitaire". Précisons au passage qu’un bon support publicitaire, c’est un médium qui ne va pas dans le sens contraire de ses annonceurs... Jean-Paul Sartre doit se retourner dans sa tombe.

Sur les médias en général lire :

Acrimed

Pour Lire Pas Lu

- Peut-on dire que la publicité c’est de la communication ?

L’assimilation entre publicité et communication est telle aujourd’hui qu’on parle souvent indifféremment de l’une et de l’autre. Le terme "communication" est assez neutre. Il y a une notion de transmission de l’information, voire de dialogue. Mais, communiquer avec quelqu’un, ce n’est pas pareil que de communiquer des arguments de vente ou des images de marque par la publicité. En effet, dans le premier cas la communication est à double sens. Un dialogue est possible, tout comme une contre-argumentation en cas de désaccord. Or la communication publicitaire n’a rien à voir. Avez-vous déjà essayé de parler avec votre écran de télévision pendant les coupures publicitaires ? Vous pouvez brailler comme bon vous semble (si tant est que vos voisins soient assez compréhensifs...), on ne coupe pas une coupure publicitaire à la télévision ou à la radio en lui parlant. Le monologue est de mise et vous n’avez rien à dire (au mieux, vous pouvez zapper sur une autre page de publicité...)

Les antipublicitaires ont fait les frais de ce que les entreprises appelent la "communication". Lors de la troisième action à Paris, ces activistes qui voulaient répondre à la publicité sur la publicité se sont vus accueillis par les forces de l’ordre. Et Métrobus et RATP ont commencé une procédure judiciaire pour calmer ces trubins qui cherchaient à dialoguer. Personnellement, j’aurais du mal à considérer comme "amie" une personne avec laquelle je communique qui appellent la police et qui m’intente un procès quand je la contredis. Cela montre à quel point ce type de communication est à sens unique. Essayer de changer les choses est juridiquement risqué.

Le problème, c’est qu’entre individus, si conflit il y a, on peut arrêter de fréquenter la personne. Avec la publicité, pour ce faire, il faudrait arrêter de regarder la télévision, d’aller au cinéma, d’écouter la radio, de lire la presse, de surfer sur Internet, de marcher dans la rue, bref arrêter de vivre. Juste pour éviter de se faire communiquer. Peut-on alors vraiment parler de communication quand on parle de publicité ? Je laisse la question posée. Libre à chacun d’y répondre comme il l’entend.

- Bon, d’accord, la publicité, c’est pas toujours génial, mais, c’est quand même un peu de l’art ? Ca représente une certaine culture non ?

Nombre de publicitaires voudraient se voir, et souvent se pensent comme des "artistes". En effet, ces derniers touchant aux films, à la musique, à la littérature dans le choix des slogans, à la photographie ou encore au dessin, cherchent l’esthétique pour faire passer leurs messages. C’est pourquoi les publicitaires se voient artistes. Touchant aux domaines de l’art, ils voudraient faire partie de ceux qui élaborent la culture.

Mais, si un artiste cherche l’esthétique, c’est normalement uniquement pour nous faire rêver, nous faire réfléchir, nous faire rire, nous interpeler. Le publicitaire, lui, s’il arrive à nous faire rêver, rire ou nous interpeler (nous faire réfléchir n’étant pas dans ses prérogatives....), ne le fait que pour mieux vendre le produit ou faire connaître la marque pour ensuite vendre le produit de la marque, ce qui revient au même. De but chez les artistes, l’esthétique devient un moyen chez le publicitaire. Et c’est là la grande différence. La publicité se sert de ce que l’humain fait de plus grand, de moins nocif et qui donne un sens à notre espèce, pour vendre des "petits" produits souvent ultras nocifs pour la planète (voir un 4*4 vanté par une pub : en plus de prendre plus d’espace (qui est un luxe pour les publicitaires...), ces voitures poluent 40% de plus que les "ordinaires"), et pour qui le sens se résume à celui donné par le goudron.

Ce phénomène peut faire croire que c’est la publicité qui fait vivre l’art alors que c’est le contraire. Ce n’est pas parceque l’art fait vivre la publicité que celle-ci devient art. En effet, on a besoin de manger pour vivre, pour autant, la nourriture n’est pas être humain.

En reprenant Goebbels (qui a tout apporté aux publicitaires en termes de techniques de propagande soit dit en passant), Christian Blachas pouvait dire dans un édito de CB News "Quand j’entends le mot culture, je sors ma pub". Parce qu’elle est reprise par la plupart des matraqués, la publicité passe souvent pour de la culture. Mais plutôt que de culture, je parlerais de culte. La publicité est basé sur le culte. Culte du moi, culte de la jeunesse, culte de la consommation, culte de l’avoir... Or loin d’être révérencieux, l’art est souvent critique. La publicité voudrait nous faire croire que nous vivons dans le "Meilleur des mondes". Mais, si Aldous Huxley rentre dans la culture, c’est bien parce que son livre nous fait réfélchir, nous questionne. Or le but de la publicité est de nous transformer en machine à consommer les produits, et par extension, en rouage docile du système. Moins nous réfléchirons, plus nous nous rapprocherons du comportement de la machine. La recherche d’un bonheur dans la consommation, en plus d’être une illusion est un réel problème. La croissance de l’économique tue la Terre tous les jours un peu plus. Mais nous devrions continuer à consommer pour subsister. C’est bien ce que veulent nous faire croire les publicitaire. Et, de ce fait, la publicité, loin d’être à considérer comme de la culture qui doit ses lettres de noblesse aux artistes critiques, doit plutôt être perçue comme de l’anti-culture, dans le sens où elle cautionne un système néfaste qui scie la branche sur laquelle nous sommes assis.

Voilà. On aurait pu parler de beaucoup d’autres choses. Des images sexistes et de l’utilisation des pulsions sexuelles, des effets dangereux sur la santé publique (obésité, anorexie...), des incitations à des comportements inciviques (vitesse au volant...), de la manipulation mentale ou encore de la pollution visuelle et finalement de la pollution intrinsèque de la publicité (en effet, soit la publicité fonctionne, et c’est de la manipulation, soit elle ne fonctionne pas, et c’est un énorme gaspillage de ressources), le texte eût été très long. Cela n’empêche pas que nous n’en fassions pas état dans d’autres chroniques.

D’ici là, faisez gaffe à les pubs.

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