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Dans l’Arène de la Culture Politique Etasuniènne

Les Jeux Présidentiels- Première Partie

samedi 2 octobre 2004, par Christopher Montel

Chris a été, pendant l’espace de deux mois, un envoyé spécial hors pair... Il nous raconte comment les Etats-Unis vivent cette période pré-électorale - vue de New York.

Arrivé à New York City par un beau et clair matin de Septembre, le 10 de cette année 2004 pour être précis, je me suis immédiatement rendu aux Madison Square Gardens, le Palais des Congrès New-yorkais, où, quelques jours plus tôt, le Parti Républicain avait tenu sa convention préélectorale. La grande affiche tapissée sur la façade Sud-est du bâtiment n’avait toujours pas été retirée.

En plaçant une sympathique tête d’éléphant- symbole du Parti Républicain- à côté d’une Statue de la Liberté se dressant fièrement au devant des couleurs du drapeau, cette affiche représentait la tentative plus ou moins réussie de démontrer que, lorsque attelé par Georges W Bush, après que ce dernier ait accepté l’investiture de son parti comme candidat aux présidentielles de novembre, le pachyderme saura mener le pays mieux qu’un vulgaire mulet démocrate sur le chemin de la liberté retrouvée, avec en prime un je-ne-sais-quoi de passion patriotique.

Pour le reste, Manhattan filait à son train habituel, c’est à dire à grande vitesse, et la convention du Grand Old Party semblait avoir été digérée plus vite que la choucroute des hot-dogs New-yorkais.

Alors que je me laissais porter par la vague matinale piétonne en descendant la Septième Avenue tout droit jusqu’au site des feu Twin Towers du World Trade Center, le fameux Ground Zero, je ne pouvais que remarquer qu’une autre affiche, toute aussi imposante, n’avait non plus toujours pas été retirée de la façade d’un immeuble, arborant en lettres rouges et noires un slogan de plus en plus habituel, Save America, Defeat Bush. (« Sauvez l’Amérique, sortez Bush ») Un peu comme si ces deux affiches se défiaient mutuellement de pouvoir survivre à l’autre, en attendant les élections début novembre.

Pourtant, la proximité spatio-temporelle des affiches en question signalait ce jour là quelque chose de bien plus inquiétant sur ces élections, en montrant finalement que l’enjeu fondamental n’est pas d’élire un président en soi plus compétent que l’actuel président au pouvoir, qui provoquerait par lui-même, à travers ses propres qualités, un aiguillage radical de la trajectoire entreprise par Georges W Bush, mais bel et bien de foutre ce dernier dehors et de le remplacer par...oui, par John Ford Kerry, pourquoi pas.

John Kerry serait évidemment un meilleur président que l’adversaire qu’il confronte, mais qui ne l’est pas dans les présidentiables de tous les partis étasuniens, y compris Ralph Nader ou bien Barbara Bush ? On pourrait donc a priori se dire que l’incompétence de l’administration actuelle est un véritable cadeau pour le candidat Kerry, mais ce qui semblait il y a quelques mois une bénédiction pour le Parti Démocrate- le Front Anti-Bush, uni par une seule cause, le ABB (Anything But Bush)- se révèle être le pire des faux amis politiques pour John Kerry.

John Kerry et le front anti-Bush

Pendant cet été surchauffé par les décapitations filmées et les attentats suicides en Irak, les vagues de licenciements et les délocalisations d’usines étasuniennes au Mexique et autre Shenzhen Chinois, ainsi que par les publicités diffamatoires financées et diffusées par les amis du clan Bushiste, se disant bien sûr « indépendants », les prérogatives personnelles du candidat démocrate se sont souvent révélées plus que conflictuelles avec les attentes de ceux qui ne veulent plus de Bush.

Et peut-on vraiment reprocher à Kerry de vouloir montrer qu’il est un peu plus qu’un simple bouchon contre l’hémorragie sanguine, budgétaire et économique provoquée par quatre ans de dangereuses bouffonneries Bushistes ? Pour beaucoup ce serait bien assez, et ils ne comprennent pas pourquoi Kerry ne base pas sa campagne présidentielle uniquement sur le bilan catastrophique de la guerre en Irak et des politiques économiques ultra-libérales de l’administration au pouvoir.

Le nombre de soldats étasuniens tués en Irak (Sans compter le nombre de civils tués par décapitation ou lors des attentats suicides) a franchi fin Août le cap des 1000 Killed in Action. Le nombre d’attaques par les forces insurgées est passé de 700 en Août à plus de 2700 avant la fin du mois de septembre. La classe moyenne aux Etats-Unis est aujourd’hui en phase de régression, et vous pouvez sûrement le deviner, certainement pas parce que plus d’américains accèdent au confort matériel des classes supérieures. 39 millions de citoyens de la première puissance économique au monde vivent en dessous du seuil de pauvreté tel qu’il est défini par la Banque Mondiale et autres organismes internationaux, tels le FMI. Ces chiffres parlent donc par eux-mêmes en faveur de Kerry.

Si l’on résume un tant soit peu le message donné par le clan Bushiste, c’est que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, même si la direction de la CIA affirme que l’on se rapproche de jour en jour en Irak d’une guerre civile généralisée. Kerry, pour le meilleur et pour le pire, prétend lui qu’il serait un chef de guerre bien plus efficace et bien moins dangereux, mais évite bien souvent de remettre fondamentalement en question la politique guerrière de Bush, alors qu’il se fait traiter de girouette par ses adversaires.

C’est le prix que les démocrates sont en effet en train de payer en voulant d’une part récupérer seuls les fruits de la haine anti-Bush (tout en manoeuvrant pour ne pas laisser passer Ralph Nader sur les bulletins de vote de plusieurs Etats, le dernier en date étant la Pennsylvanie), sans se rallier pour autant au discours anti-guerre. De nombreux faucons qui avaient soutenu l’appel à la guerre en Irak se disent aujourd’hui déçus et participent en intermittence avec Wesley Clark aux spots publicitaires démocrates. Kerry ne peut pas non plus se permettre de délaisser au Parti Républicain le vote de l’aile néo-conservatrice du Parti Démocrate, qui se révèle selon certains analystes encore plus extrémiste que le plus extrémiste de ceux qui occupent aujourd’hui le Pentagone.

Lors de son discours d’investiture le 30 juillet, Kerry a bien entendu répété qu’il mettrait tout en œuvre pour réconcilier les Etats Unis avec la Vieille Europe, et l’inciter à se plonger elle aussi dans l’enfer Irakien aux côtés des forces déjà présentes, mais, loin de remettre en question le concept de guerre préventive contre le terrorisme et d’essayer de mettre en avant les problèmes domestiques, comme le voudrait le front anti-Bush et comme le lui a conseillé Bill Clinton, le candidat démocrate s’est donné une image de chef de guerre bien plus compétent que Bush et son insularité primaire.

Après être entré sur scène sur le Never Surrender de Bruce Springsteen, John Kerry a joué jusqu’au dernier tour la carte du vétéran devenu politicien, en déclarant qu’ayant servi son pays en tant que soldat pendant la guerre du Vietnam, il serait mieux à même de le servir en tant que président. S’adressant directement aux jeunes appelés du contingent en Irak, il a insisté sur le fait qu’il sait, lui, ce que c’est que d’être un gamin armé d’un M-16, et de ne pas pouvoir faire la différence entre ami et ennemi.

Finalement, pour bien faire comprendre son message au Président sortant, John Kerry a repris à Georges W Bush un terrain qui ne lui a jamais appartenu en entonnant « L’avenir appartient à la liberté, et non à la peur », avant de saluer militairement la foule avec un sourire, en déclarant « I am John Kerry, and I’m reporting for duty ». (Je suis John Kerry et je réponds à l’appel du devoir...militaire)

Mais ceux qui souhaitent avant tout, et ils sont nombreux, de ne plus voir frappée de la mention « President » la petite bulle placée au dessous du petit Prince Texan sur les chaînes de télévision se retournent aujourd’hui contre Kerry et l’accusent de ne pas mener une politique suffisamment agressive contre son opposant Républicain sortant.

Le problème, c’est que Kerry n’est ni un dissident (ou du moins il ne l’est plus depuis son mémorandum public dénonçant les atrocités et crimes de guerre commis par l’armée étasunienne au Vietnam en 1971) ni un commentateur politique indépendant, mais lui-même un prétendant au trône, qui doit avant tout se souvenir que s’il gagne, il aura sur les mains un bourbier tel qu’il ferait pâlir d’effroi le plus enflammé des critiques anti-Bush.

Aux Etats Unis aussi de jeunes lycéens se font endoctriner après les cours par les Trotskistes.

En voulant reprendre Broadway par la Sixième avenue, je m’étais retrouvé à Union Square. Un petit rassemblement s’y déroulait pour protester contre l’Etat policier et le Patriot Act, où chacun pouvait y exprimer ses opinions par le free mike.

Après qu’un des intervenants avait fini d’insulter les liberal sonnavabitches, cachés selon lui dans la foule, et d’appeler ses concitoyens à former des milices armées de quartier pour occuper les commissariats de Police, le débat s’était complètement détourné du sujet, pour partir loin dans la défense rhétorique du système socialiste. A côté de moi, un autre étranger, Irlandais, qui avait passé beaucoup de temps à jouer l’avocat du diable en argumentant sur l’impossibilité d’un tel système, s’était finalement approprié le free mike pour suggérer que si tous les anti- Bush votaient Kerry, ce serait déjà un bon début.

Pas mal la boulette, me suis-je dit, en constatant néanmoins que tenir un tel discours à des militants étasuniens stimulait le même genre de comportement que chez les militants en France lorsqu’on accusait la gauche de ne pas avoir voté en bloc pour Lionel Jospin au premier tour des élections présidentielles françaises de 2002. Alors que je m’éloignais du rassemblement les intervenants se pressaient encore pour dénoncer au micro une telle suggestion.

La suite de ma vadrouille et ses détours les plus significatifs, je vous les communiquerai la fois prochaine, lorsque j’aurai retrouvé mon chemin sur la Septième pour descendre sans tarder Manhattan tout droit jusqu’au Ground Zero.

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