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Le voyage en Italie (acte 2) : Venise, Padoue, Vicence, Vasto, Metaponto, Matera

mercredi 29 août 2018, par Sébastien Bourdon

Il paraît que le tourisme accélère la destruction de la planète. Le seul fait que nous soyons justement en ces lieux est probablement assez peu propice au développement des plantes vertes et à la reproduction des abeilles. Alors, foutus pour foutus, on part quand même en Italie, en bétaillère volante, il faut faire avec ses moyens de destruction de l’environnement.

Commençons par voir Venise, et ne pas forcément en mourir. En quittant le train qui longe la lagune dans son parcours final, on est immédiatement dedans la ville, la gare jouxtant un canal. Une première traversée de pont nous plongera ainsi immédiatement dans le dédale des ruelles vénitiennes.

La chaleur est intense, il y a parfois autant de monde que dans la ligne 13, et pourtant le charme opère. Cette ville extraordinaire, tant documentée ou décrite, donne jusqu’à une impression de familiarité, on reconnaît certains lieux par leur nom, sans pourtant jamais les avoir vus.

Miraculeusement, la foule et la livraison de l’espace libre aux petites boutiques des horreurs capitalistes, n’empêchent jamais la fascination devant tant de beautés.

On devrait presque s’en réjouir, la lagune est sale et pleine de méduses, tous les murs ne sont pas polis, pourvu que ça dure, laissez à ces lieux un peu de déglingue, un peu de romantisme. Cette cité lacustre aux vingt millions de touristes annuels doit encore un peu sentir la mort et la décrépitude, au risque d’en perdre son pouvoir d’attraction légèrement vénéneux.

A quelques encablures de là, une autre ville se découvre, Vicence. L’influence vénitienne n’est ici pas sans charme (mais sans eau), mais c’est surtout son « teatro olimpico », théâtre construit à la fin du XVIème siècle (1580 - 1585) qui ne doit en aucun cas être esquivé. Plus délicat et admirable semble compliqué : conçue pour une ouverture avec le « Œdipe Roi  » de Sophocle, la scène est toujours habillée des décors en trompe l’œil réalisés à l’époque et représentant les rues de Thèbes. La ville de Vicence recèle également de nombreux palais et rappelle l’évidence italienne : même les endroits les plus petits ou insignifiants (sur le papier) recèlent leur lot de merveilles architecturales et historiques.

A Padoue (Vénétie), un ancien amphithéâtre Romain fait aux beaux jours office de cinéma de plein air dans lequel on peut entrer à vélo avant de l’y garer : sur le plan achèvement ultime de la civilisation occidentale, on n’a pas souvent vu mieux.

Ledit amphithéâtre a fait l’objet de récentes fouilles alentours qui ont permis d’en déterminer l’imposante taille d’origine, mais également de déterrer les traces d’une villa romaine. Las, conflit de mémoires italiennes, la poursuite des excavations menaçait la chapelle des Scrovegni située dans l’immédiate proximité et qui contient les miraculeuses fresques de Giotto (peintes entre 1303 et 1306). On a donc rebouché le trou et abandonné les fouilles. Trop d’histoire sur une terre devenue, à force, presque insuffisante à la contenir toute.

Prendre la route et descendre dans la botte jusqu’au talon, comme un autochtone en vacances, et se réjouir à cette occasion d’avoir un véhicule fruste, mais climatisé (et redécouvrir au passage le simple plaisir de passer des vitesses, de ne pas entendre résonner des tut-tut ou des pouet-pouet à chaque manœuvre, retrouver le plaisir de conduire en somme).

Au regard de la durée d’un trajet qui nous amènera jusqu’en Basilicate, une halte s’impose, à Vasto (Abruzzes), jolie ville fortifiée où l’ancien et le plus récent se mêlent admirablement. Cet enchevêtrement architectural rappelle combien est triste l’urbanisme de la table rase, privant les lieux comme ceux qui les habitent d’un ancrage pour aller de l’avant (des racines et des ailes etc.).

S’égarer entre les Pouilles et la Basilicate et se retrouver comme perdu dans un paysage infini de champs pouilleux (forcément) et de routes défoncées. Le soleil couchant sur ces mornes plaines à l’indicible charme justifierait à lui seul l’occasionnelle interruption de tout instrument de guidage.

A l’intérieur des terres, en quittant les plages de Metaponto (Basilicate - cité appartenant à l’antique "Magna Graecia"), il faut s’arrêter, tel le Christ à Eboli, et visiter Matera (sous la menace d’un orage, qui n’éclatera que le lendemain). Cette ville troglodyte de roche et de pierres, occupée depuis la nuit des temps, est située sur les hauteurs d’une gorge au creux de laquelle coule une rivière. Un endroit proprement bouleversant, où le génie humain s’est exercé sous et sur la terre, dans un geste d’une beauté et d’une élégance éternelles.

Le lendemain, encore obnubilés par la possibilité d’une vie en sous-sol, nous avons sur le chemin de Pietrapenta visité la crypte du Péché Originel (Cripta del Peccato Originale) où l’on trouve des fresques peintes avant l’arrivée des arabes, au début du 9ème siècle, dans le haut Moyen-Age donc. Ces représentations humaines à la beauté vivante ont quand même été dessinées 500 ans avant Giotto - réputé pour avoir apporté du naturalisme à la peinture (on avait admiré ces travaux parmi les plus célèbres quelques jours plus tôt, à Padoue, à près de 900 kilomètres de là).

Au retour de cette ultime excursion, l’aquilon ébranlant moult chaumières au loin dans la nuit, on a goûté au frisson qu’est celui de conduire dans cette Italie sudiste. Doublé ou être doublé, telle est la question que ne se pose pas pour l’automobiliste local qui, quelque soit votre éventuel dépassement de limite de vitesse, vous collera de toute façon au train jusqu’à pouvoir vous dépasser. Ligne blanche, côte, virage, qu’importe, il faut prendre le devant coûte que coûte.

A la plage, à Vasto comme à Metaponto, s’est trouvée invariablement la possibilité aisée de la solitude quasi absolue. Sitôt traversées les spiaggi private avec leur musique à fond les ballons, leurs parasols et transats et la horde multicolore des familles en maillot de bain, quelques mètres suffisent pour se retrouver seuls face à la mer. Ce petit miracle s’est invariablement répété jusqu’à donner une impression de facilité déconcertante, mais rassérénante.

On croyait avoir expérimenté l’inquiétude avec la conduite automobile au Sud de l’Italie, mais il faut reconnaître qu’en terme de retour à notre intrinsèque fragilité, les secousses sismiques, c’est beaucoup plus impressionnant, même si très fugace. Nous avons senti soudainement un grondement inconnu et inexplicable alors que nous flânions dans les ruelles de Vasto. Quelques personnes ont couru et d’autres se sont ruées hors les maisons en criant. En levant les yeux, j’ai constaté que même les chiens étaient immobiles sur les petits balcons, sans toujours bien comprendre de quoi il retournait, le cerveau comme privé de capacité d’analyse. En levant la tête, je constatai que l’éclairage public s’était éteint et que les lampadaires valsaient, mus par une force inconnue. C’est probablement cette dernière vision qui m’a fait réaliser qu’il s’agissait d’un (court et modeste) tremblement de terre. La secousse achevée, la vie a tout de suite repris son cours, mais les habitants semblaient conserver une sourde inquiétude, d’ailleurs quelque peu communicative.

Sur l’autoroute du retour, car il faut bien qu’il y en ait une, on réalise que la station service est au-dessus de la mer, on ne va donc quand même pas prendre des sandwichs quand on pourra, une fois encore, se baigner et déguster des pâtes exceptionnelles (il faudra aussi trouver un distributeur en plein cagnard, ils ne prenaient pas la carte bleue).

On en voudrait plus et encore, et heureusement, on ne connaîtra jamais la lassitude.

Sébastien Bourdon

"Io vedo il cielo sopra noi
Che restiamo qui, abbandonati
Come se non ci fosse più
Niente, più niente al mondo."

"Il Cielo In Una Stanza" Gino Paoli

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