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Le débat national en question

mercredi 21 janvier 2004, par Thomas Bourgenot

On parle souvent dans les médias de « débat national » ou de « consultation de la population ». Prétendument garants de la démocratie, ces débats aideraient les dirigeants et gouvernants au pouvoir à prendre leurs décisions. Du traité de Maastricht à la probable nouvelle loi sur la laïcité, en passant par la loi sur les 35 heures, les débats nationaux qui les ont guidé ont pris des formes bien différentes. Ce qui amène à se poser la question : qu’entendons-nous par « débat national » ?

François Bayrou, en abordant la politique énergétique de la France disait . « C’est une décision qui ne peut être prise qu’au terme d’une large consultation de la population, qui n’a pas eu lieu ni au Parlement ni dans l’opinion publique ». Pour un débat national, l’alternative serait donc : soit une consultation du Parlement, soit une consultation de l’opinion publique.

Commençons par analyser le débat au Parlement. On peut voir deux types de consultation. Le premier, c’est la sanction des urnes. Quand un parti se présente à une élection, il a logiquement un programme dans lequel il donne ses solutions à certains problèmes de société. Si ses solutions sont crédibles pour la majorité de la population, ce parti deviendra la majorité au Parlement, et il pourra alors appliquer son programme dans les règles définies par la Constitution. Ainsi, l’adoption des 35 heures était au programme des socialistes en 1997, et la décision a pu être prise sans consulter a posteriori l’opinion publique, puisque celle-ci est censée avoir déjà approuvé le principe. Mais, ce cas est quand même assez rare.
Par la sanction des urnes, on peut aussi voir le référendum. Mais, ça, les politiciens n’aiment pas trop, car c’est donner beaucoup de pouvoir au peuple que de prendre une décision en commun. Ainsi, on a eu Maastricht, où les médias avaient arrangé le vote pour que l’opinion dise « oui », et le dernier en date : le quinquennat, où le débat était aussi fixé par les médias : il fallait harmoniser nos durées de mandat sur nos voisins et amis…

Le second type de consultation est plus fréquent. Coluche disait : « Les dirigeants ont promis de bien tenir leurs promesses. Entendez par là qu’ils ne sont pas prêts de les lâcher. » En effet, l’application du programme d’une campagne est une exception dans la vie politique, sachant que quand nos élus obtiennent le pouvoir, leur mémoire en prend un coup. Alors, il y a les débats nationaux hebdomadaires à l’Assemblée, sur les problèmes quotidiens des Français, problèmes qui n’étaient pas à l’ordre du jour pendant la campagne. Là, les débats sont quelque peu différents. Le Parlement devient un huis clos qui donne ses conclusions au Journal Officiel que personne ne lit, si ce n’est les gens au courant qui comprennent le vocable parlementaire, mais ces gens là se font de plus en plus rares, l’intérêt pour des huis clos de type Loft Story étant nettement plus en vogue que pour le Parlement, qui est, c’est vrai, un peu dépassé par la spectacularisation de la société. En même temps, nos députés ne sont pas jeunes et n’écrivent pas « emmerder avec un grand A », voire n’écrivent pas « emmerder » du tout.

Heureusement pour nous, les couloirs de l’Assemblée sont quand même ouverts à des gens de la « société civile ». Grâce à ces groupes de pression, on peut vraiment dire qu’on est en démocratie. Bon, c’est vrai que tous les groupes de pression ne sont pas les bienvenus dans ces couloirs, et que les députés ont plus de facilités à écouter Etienne Mougeotte et ses potes que des associations comme Greenpeace ou Résistance à L’Agression Publicitaire. Mais bon, le principe est là : la société civile nous défend auprès des députés. Et si vous n’avez pas de groupe de société civile, il faut s’en trouver un rapidement pour pouvoir avoir une place dans ce type de débat national.

C’est ainsi que passe la majorité des lois de notre pays. Dans un certain secret. En tout cas pour tout ce qui est dit trop « politique » pour un peuple présumé niais et sans intérêt pour la « chose publique ».

En revanche, parfois, on a droit à un vrai grand débat. Quand un sujet intéresse les rédacteurs en chefs des journaux et qu’ils y voient la possibilité d’accroître leurs ventes et leur audience, alors, les médias ont à cœur de parler beaucoup du sujet. Littéralement, les médias sont des intermédiares entre des émetteurs et des récepteurs. Ils ne devraient donc que faire « passer un message », sans le corrompre. Dans la réalité, ce n’est pas tout à fait cela. Non seulement les journalistes choisissent les sujets dont ils parlent en fonction des intérêts de leur journal ou de leur groupe, mais en plus, ils ont une fâcheuse habitude d’en parler de manière simplificatrice, voire simpliste, quand ce n’est pas démagogique. Le grand débat national se transforme alors en polémiques souvent stériles dans les colonnes reprises par les journaux télévisés, quand ce n’est pas l’inverse. Ainsi en a-t-il été de la probable future nouvelle loi sur la laïcité. On a eu les « pour » une nouvelle loi, et les « contre ». Les chrétiens laïcs contre les musulmans intégristes. Les premiers défendaient leur droit à porter des signes peu ostensibles (un prof pourrait garder une croix du moment qu’elle reste « petit format »), et les seconds défendaient leur droit à se vêtir comme ils l’entendaient, même à l’école. Voilà à quoi est tenu le débat. Les voix plus constructives qui disaient qu’il existait déjà une loi ont été méthodiquement tenu à l’écart pour laisser les intégristes de tout bord s’exprimer afin de faire monter les ventes.

Ce genre de débat est récurent. Les limites sont toujours fixées par les grands médias. Ne peut parler qui veut, mais qui a droit à la parole médiatique. Peut-on alors parler de débat national pour désigner ces exhibitions savamment orchestrées ? Car, après avoir « chauffé le public », les journalistes concoctent des sondages pour savoir vraiment « ce que pensent les Français ». Mais, les questions ne sont pas choisies au hasard. Quand ce n’est pas un simple « pour ou contre », c’est en général le choix entre un petit malheur ou un grand malheur. Dans le cas du sondage, la limite imposée par le sondeur est très claire, c’est lui qui fixe les questions, et donc, d’une certaine manière les réponses qui seront forcément influencées par « l’actualité » médiatique du moment.

Le spectacle de l’information peut-il passer pour une consultation publique ? Le sondage est-il crédible pour aider à prendre des décisions politiques importantes ? M’est avis que ces questions-là devraient être plus souvent d’actualité justement. Mais, il apparaît que les journalistes investigateurs de l’internet et des dépèches AFP et Reuters soient peut-être trop formatés par la « bien pensée » apprise dans les écoles de journalisme pour se poser la question dans leurs colonnes…

Messages

  • Je ressens une pointe d’ironie lorsque tu parles de nos "voisins et amis" europeens... Tu les aime pas en fait....

    • "voisins et amis", c’était autant pour les européens que pour les américains. Effectivement, il y a quelque ironie, mais pas dans le sens où tu l’entends. C’est plutôt pour dénoncer le "suivisme" ambiant qui m’éxaspère. Sous prétexte que nos amis font quelque chose, nous nous empressons de faire de même, sans trop réfléchir.

      Cette "harmonisation" était l’un des arguments matraqués pour le quinquennat. Je me demande simplement si c’est pour s’harmoniser qu’on l’a fait, plutôt que pour réellement adapter la Constitution en cherchant l’efficacité politique. Je ne dénonce pas forcément le quinquennat, je m’interroge sur le suivisme.

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