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Le Voyage en Italie (acte 1)

vendredi 18 mai 2018, par Sébastien Bourdon

Turin

À Turin, la population est passée de 173 000 habitants à la fin du 19ème siècle à 1,2 millions en 1971, foule attirée par le boom économique automobile (pour décroître ensuite, avec le déclin de la même économie). Il est donc assez fondé de dire qu’en réalité personne n’est de Turin. Du coup, cela peut faire de soi un touriste décomplexé.

L’ensoleillement relève à Turin de l’évidence. On s’étonnerait même qu’il puisse y faire mauvais. Et pourtant, il semble que la pluie annoncée par les augures de la 4G ne manque pas à l’appel. On la sent déjà arriver par un rafraîchissement subtil qui ne vient pas seulement de la dégustation de la bière locale Metzger à la « Farmacia » de la Via Academia delle Scienze. Ladite boisson est servie dans un verre à pied en cristal gravé en lieu et place de l’habituelle pinte, on ne plaisante pas avec l’esthétique en Italie.

Arpenter Turin, ses grandes artères dégagées, ses cafés et multiples places, ces gens dehors à toute heure, qui paraissent n’être que rires et plaisirs. Les êtres humains sont ici faits pour vivre dehors dans un environnement civilisé. Toutefois, en ce temple historique de l’automobile (la sacro sainte « macchina »), elle reste omniprésente, quoique sérieusement concurrencée par les bus, les tramways et les vélos. Elle n’est plus reine, mais se croit parfois encore tout permis.

Turin, ville emblématique de l’industrie automobile, n’a par ailleurs historiquement connu la gloire que tardivement, grâce aux efforts de la « tête de fer », Emmanuel-Philibert de Savoie, qui fera à la fin du 16ème siècle une capitale (de la Savoie) d’un bourg où il ne s’était jusqu’alors pas passé grand chose. Turin redeviendra capitale éphémère d’une Italie unifiée entre 1861 et 1865. C’est paradoxalement à l’évocation de ces temps glorieux que la crise économique des années 70 a ramené la ville, obligée de compenser la fin de l’industrialisation à tout va par la promotion des arts et de la culture.

On a ici résisté aux français, mais leur influence architecturale est majeure. Mais aujourd’hui, on n’héberge guère de soldats en armes sur ces places grandioses, plutôt des gens en quête d’une « bibite frescha ». On appellera cela la civilisation, parfois contredite par les caprices de la météo.

Toujours attablé, avant de régler la note, on se souvient de ce que les italiens sont des français de bonne humeur et on s’étonne de ce que la serveuse soit un peu revêche.

Si l’on sort du centre historique, c’est pour rejoindre le temple du Dieu voiture, le Lingotto où Agnelli fit rouler ses voitures jusque sur le toit (voilà une piste d’essai qui a de l’allure et sur laquelle on s’offrirait, tout cycliste que l’on soit, un tour de bagnole).

Eut un temps où il était de bon ton pour les grands de ce monde de dépenser ses deniers dans la culture, et on trouve donc en ces mêmes lieux une Pinacothèque Giovanni et Marella Agnelli qui marque en quelques œuvres choisies le goût très sûr des fondateurs et propriétaires. S’approcher des tableaux de Bellotto ou Canal et sentir la vibration d’un monde disparu (Dresde en 1750, enfouie sous les bombes entre le 13 et le 15 février 1945). Quant aux femmes nues de Renoir et Modigliani, habilement installées côte à côte, elles ouvrent un gouffre de réflexion sur le désir et ce qu’il comporte d’effroi.

Pour marquer encore le coup, une exposition temporaire dans les mêmes lieux sur l’architecte Frank Lloyd Wright permet de vérifier combien le monde serait plus beau si l’on s’inspirait encore et toujours de ses travaux. Évidemment, ce génie est allé un temps chercher l’inspiration en Italie, d’où l’exposition.

Après la peinture et l’architecture, les voitures autour desquelles tout tournait à Turin. Le musée dédié est très beau et l’on peut sans scrupules se contenter de regarder ce qui s’étale à notre vue sans s’attarder à lire les explications, le fonctionnement d’un moteur, on s’en cogne.

Il paraît qu’en chacun des mâles dort un petit garçon, ce qui justifierait parfois de beaux gestes, comme de mauvais comportements. En tout cas, ce musée est fait pour lui, il y a certaines salles où l’on croirait voir débouler Michel Vaillant ou Guy Lefranc, conducteurs illustrés des heures glorieuses du journal Tintin (nos 7 ans sont loin, mais heureusement les 77 ne sont pas si proches).

En face de l’immense Lingotto, une sorte de gigantesque supermarché - « Eataly » - propose à acheter ou à consommer sur place tout ce que peut offrir à manger cette contrée. L’endroit n’a pas en soi un charme fou, mais on y passerait ses journées quand même, tant tout y apparaît succulent et l’on voudrait littéralement tout essayer. En attendant, on s’attable donc dans ce qui est peut-être la meilleure cantoche du monde.

Des trombes d’eau s’abattent sur la ville, réfugions-nous au cinéma. Le diptyque de Sorrentino, « Loro », inspiré de la vie de Berlusconi, se prête à l’exercice, s’il pleut encore demain, on pourra voir la suite (et on l’a vue).

Il est vrai que l’on voit à Turin des salles de cinéma, un peu partout. C’est dans cette ville qu’il fit en Italie son apparition, d’où également la présence d’un musée pour le célébrer. Si on y ajoute la pléthore de cafés et librairies (c’est ici que se tient le salon annuel du livre), l’on pourrait se croire dans la Vienne début de siècle tant vantée par Zweig. Il y a eu un « Monde d’hier » et l’on pourrait ici croire à celui aujourd’hui.

Sinon, quoique peu versé dans la question, on a découvert qu’était planqué là le drap dans lequel aurait baigné le Christ mourant (avant de revenir, puis de repartir, avant de revenir ?). Comme l’aurait chanté feu Higelin, « tenue du suaire obligatoire ». Le silence est exigé en ces lieux « saints », on a donc attendu de sortir de la Cattedrale di San Giovanni Battista pour siffloter « Champagne », sous le soleil qui avait envahi la porte Palatine.

Les montagnes enneigée au loin voyaient avec la nuit venir l’orage. Il était de temps de rejoindre Paris et ses charmes embouteillés. Ciao.

Sébastien

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