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Des « antis » aux « alters »

Comment un mouvement se police pour passer dans les médias.

lundi 8 décembre 2003, par Thomas Bourgenot

Il y a encore un an on pouvait lire et entendre dans les médias (qui mentent…) le terme « antimondialisation » lorsque des vagues de contestation submergeaient l’OMC ou le G8. Ce mouvement a ete consacré à Seattle en 1999, mais s’est construit depuis plus d’une décennie sur une réflexion sur le système néo-libéral qui nous gouverne, plus particulièrement en remettant en question l’interprétation officielle de la démocratie- utiliser sa puissance financière pour arriver à ses fins privées. Ainsi, les pays riches, aidés des lobbies des multinationales, pensaient sincèrement (dans sincèrement, il y a « ment ») que leurs institutions de gouvernance mondiale étaient « démocratiques ».

L’OMC, dirigée par des responsables non élus, voulait réglementer (ou plutôt déréglementer) tous les échanges commerciaux. La Banque Mondiale et le FMI voulaient imposer leurs politiques d’ajustement structurels aux pays du Sud, afin que ceux-ci ouvrent leurs marchés, privatisent leur économie, et fassent diminuer leurs dépenses publiques (essentiellement Santé et Education, car la Défense, c’est un vrai marché, et on a encore besoin des Etats et de groupes armés, particulièrement en Afrique, pour acheter nos armes).

Le mouvement « antimondialisation » qui s’était créé voulait lutter contre ces institutions. Par « antimondialisation », on n’entendait pas « repli sur soi » ou « refus du métissage », mais bien antimondialisation ultra-libérale. Le problème pour le mouvement se trouvait dans sa médiatisation. « Anti » faisait trop obscurantiste pour des médias qui nous considerent encore « tous Américains ». Alors, pour augmenter leurs présences dans les médias, et particulièrement à la télévision, les marketeurs idéologiques d’associations comme Attac ont imaginé un terme plus fade, plus passe-partout, moins contestataire en somme.

C’est ainsi que depuis six mois, on entend partout dans les médias ce terme « d’altermondialisation », ô combien plus policé. A tel point que des Juppé, Hollande, voire des Chirac peuvent aujourd’hui se dire « altermondialiste » ou proche. Le mouvement sert alors de caution à des personnalités politiques ou économiques qui ont des visions et des pratiques tout à fait différentes, voire antinomiques.

Ceci montre, parmi d’autres signes de plutôt mauvaise augure, la manière dont le mouvement "altermondialiste" se redéfinit aujourd’hui, à chaque apparition télévisée de l’un de ses différents porte-paroles. En rentrant dans le jeu de la télévision (discours amputés de réflexion, contradicteurs démagogiques qui poussent à la démagogie, coupures pub, temps limité par un animateur fidèle à la pensée dominante), ces mouvements se discréditent de deux manières : d’un côté les opposants sont confortés dans leur point de vue et leurs procédés de communication.

De l’autre, les personnes qui pourraient éventuellement être receptives à un discours critique et alternatif, n’échappent pas à l’idée que le dernier qui parle a toujours raison, c’est à dire l’animateur. Ce qui est pour le moins contre productif. Car passer « par » les médias devient assez rapidement passer « pour » les médias. Les quelques apparitions de Pierre Bourdieu, Serge Halimi ou Noam Chomsky en sont des preuves. D’invités contestataires, ils deviennent des jouets des présentateurs qui les coupent, les somment de répondre à des questions désagréables, et finalement, les discréditent, ce qui fait que ces derniers ont refusé plus que fréquemment tout débat dit « démocratique » à la télévision, ce qui n’est pas le cas des portes paroles altermondialistes.

On peut dès lors s’interroger sur les capacités à engager un « autre monde », des associations qui le prônent. En effet, il est plus que regrettable de voir un journal comme Le Monde Diplomatique, se targuant d’être le créateur du slogan « d’autres mondes sont possibles », se laisser envahir par le pilier de l’économie néo-libérale qu’est la publicité. On a pu en effet voir ces derniers mois des doubles pages entières vantant IBM ou Renault dans ce mensuel « altermondialiste » de la première heure. Le coup des doubles pages, même le journal Le Monde ne s’y est pas osé (en tout cas pas à ma connaissance). Or on sait que ce journal s’est déjà largement converti à l’ordre établi (Edwy Plenel présentant une émission de publi-reportage pour auteurs en mal de reconnaissance comme BHL, Jean-Marie Colombani vantant la « mondialisation heureuse », probable future entrée en Bourse…).

De même, il est dérangeant d’entendre Bernard Cassen, président d’Attac (et directeur du Monde Diplomatique…), défendre son choix de passer par le groupe Lagardère pour faire éditer et distribuer les livres de l’association en des termes plus que douteux. On pouvait en l’occurrence entendre l’un des principaux portes-paroles en France de ce qui s’appelait encore « l’antimondialisation » nous expliquer : « Trois paramètres étaient à prendre en considération : le prix public ; la capacité de diffusion et de distribution de l’éditeur ; la capacité logistique de l’éditeur à faire des envois directs aux comités. En ce qui concerne le prix public, seuls L’Esprit frappeur et les Mille et Une Nuits pouvaient proposer 10 francs. Mais le considérable avantage de l’éditeur retenu, membre du groupe Fayard, est son réseau de diffusion et de distribution très dense et sa réactivité aux demandes de réassorts. […] Le problème de la "symbolique" m’apparaît, en la circonstance, moins important que celui de l’efficacité. » On croirait entendre un marketeur d’un grand groupe défendant sa stratégie élaborée à grand renfort d’étude de marché, de la concurrence, de cœur de ciblage et autres benchmarking, devant des grands patrons fumant le cigare et attendant des taux de rentabilité élevés pour satisfaire des actionnaires en Floride….

C’est bien sûr ce problème du marketing, idéologique en l’espèce, que l’on peut craindre pour la suite. En effet, ces deux anecdotes nous montrent que les tenant de « l’autre monde » s’appuient de plus en plus fortement sur le monde existant pour se développer. Le passage du terme « anti » à « alter » s’est fait dans la plus grande discrétion médiatique. Comme si les présentateurs de journaux et les éditorialistes avaient oublié qu’ils parlaient hier « d’antis » et aujourd’hui « d’alter ». Il est vrai que pour lire un prompteur, une mémoire de poisson rouge suffit, mais tout de même ! L’image dans les médias compte beaucoup pour accroître les possibilités de « pénétration », et les altermondialistes le savent. Et ce n’est pas seulement jouer sur les mots. La terminologie en dit beaucoup plus qu’il n’y paraît sur les changements opérés au sein du mouvement. Si « antimondialisation » voulait dire antimondialisation ultra libérale, « altermondialisation » s’apparente à une autre mondialisation, mais toujours ultra libérale….

Après tout, la taxe Tobin qu’a fait connaître l’association Attac, ne remet pas du tout en question le système capitaliste. Si effectivement, cela consiste à prélever 0.01% à chaque transaction financière pour financer un fonds d’aide aux pays en développement, alors il faudrait faire en sorte que les transactions financière ne diminuent pas, voire augmentent, afin d’augmenter proportionnellement le fonds d’aide. Or ce procédé s’inscrit profondément dans une logique productiviste, celle-là même qui fait qu’on va droit dans le mur sans chercher la pédale de frein. On peut alors se demander si les « antis » n’étaient pas « alters » dès le départ.

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