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« Comme tu me veux » de Luigi Pirandello – mise en scène Stéphane Braunschweig – Théâtre de l’Odéon le 1er octobre 2021

samedi 2 octobre 2021, par Sébastien Bourdon

Un Corps Sans Nom

Dans cette pièce, publiée en 1929, Pirandello nous écrit de Berlin, où il s’est récemment installé et sa pièce commence en ces lieux mêmes.

Lorsque le rideau s’ouvre, on se croirait dans une scène tirée de « Cabaret » (Bob Fosse) : des gens probablement bien de leurs personnes, mais dépenaillés, s’agitent et boivent - probablement trop. Une figure s’extrait tout de suite de cette assemblée orgiaque, une danseuse prénommée Elma (Chloe Rejon), qui attire tous les regards et tous les désirs.

Un homme (Sharif Andoura) croit reconnaître en elle une italienne prénommée Lucia, portée disparue en 1917, lorsque les soldats austro-hongrois envahirent la Vénétie. Sans que l’on ne soit jamais certain de ce qu’elle soit effectivement cette personne, il la ramène alors à son mari (Pierric Plathier), ce dernier la recherchant désespérément depuis dix ans.

La pièce s’inscrit dans un contexte historique précis : l’Europe est encore marquée des soubresauts du premier conflit mondial, mais s’annoncent déjà en elle, et particulièrement en Allemagne et en Italie, les prémices de la prochaine catastrophe à venir. Mussolini est déjà là et Hitler n’est plus très loin (Pirandello a toutefois adhéré au parti fasciste et mourra avant de connaître l’ampleur du désastre, en 1936).

La mise en scène accentue ce positionnement chronologique par des projections de films d’archive et des effondrements brusques du décors entre les actes. Stéphane Braunschweig et sa troupe organisent l’action dans un mélange surprenant de sobriété et d’éclats. Les personnages parviennent invariablement à brûler les planches, bien que comme perdus dans des décors immenses et dépouillés.

Sur scène, chacun veut la vérité, mais le dramaturge Pirandello nous rappelle que sans cesse elle nous échappe.

Ainsi, heureux est l’époux Bruno Pieri d’avoir retrouvé sa Lucia, mais est-ce réellement elle, était-elle sincère lorsqu’elle a finalement admis être cette personne disparue (le sait-elle elle même ?) ? Et lui, est-il honnête en entérinant cet aveu, quand ses motivations pourraient bien être plus pécuniaires qu’amoureuses (il récupère l’héritage qui a filé chez ses beaux-parents).

Ainsi, dans quelle mesure ce qui est affirmé par les uns ou les autres est-il plus ou moins proche de la réalité, chacun n’ayant-il pas la sienne propre et la volonté plus ou moins consciente de la tordre à son avantage ?

Comme le relève le metteur en scène Stéphane Braunschweig : « tout le théâtre de Pirandello est fondé sur le relativisme des points de vue, c’est-à-dire sur la difficulté d’établir des réalités objectives dans un monde où chacun voit les choses de son propre point de vue ».

Cette question cruciale est donc sans cesse ici soulevée, lorsque l’on croit l’intrigue dénouée, elle se dérobe encore. La pièce se fait alors aussi haletante qu’intellectuellement stimulante.

Le texte semble faire écho avec une époque contemporaine où circulent si vite et si facilement les vérités que chacun affirme détenir, quand bien même elles ne reposeraient sur pas grand-chose et qu’elles sont sans cesse remises en cause par d’autres flux contraires d’informations.

Sébastien Bourdon

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