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« Yannick » de Quentin Dupieux

vendredi 4 août 2023, par Sébastien Bourdon

Personnages en quête d’auteur

C’est beau comme la tragédie antique, puisque sont ici respectés les trois principes : unité de temps, de lieu et d’action (« Qu’en un jour, qu’en un lieu, un seul fait accompli, Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. » Nicolas Boileau).

Dans un petit théâtre parisien poussiéreux, devant un public clairsemé, se donne une pièce de boulevard poussive : la femme (Blanche Gardin), l’amant (Sébastien Chassagne) et le cocu (Pio Marmaï), encore une déclinaison théâtrale en trois principes, mais plutôt dans le registre lourdaud et passablement ringard.

Soudain, un spectateur prénommé Yannick se lève (Raphaël Quenard, décidément omniprésent) et violant règles et principes, prend la parole pour dire qu’il n’accepte pas la médiocrité intrinsèque de ce qui est joué sur scène : je viens pour oublier mes problèmes et j’ai comme l’impression que vous m’en rajoutez.

Offusqués, les comédiens, l’aristocratie du théâtre, le rappellent au règlement avec fermeté et suffisance, mais le garçon n’est pas du genre à se taire. En effet, et plus fascinant encore, s’il est verbeux, ce qu’il dit se tient, son opinion se défend et il se considère légitime à l’exprimer.

Alors, chassé par la porte, il revient… par la porte toujours, mais arme au poing, bousculant cette fois plus définitivement le rapport de forces : il va maintenant falloir l’écouter, il a les moyens de sa politique. Le peuple est dans la salle et il a pris le pouvoir.

Et c’est justement une politique d’auteur que Yannick revendique : votre représentation est lamentable, laissez-moi vous écrire une pièce que vous jouerez, car tel est mon bon plaisir de roturier sans divertissement.

Six jours de tournage, pour une heure pétante de film, soit la durée probable des événements qu’on y voit se dérouler. On reste chez Dupieux mais sans totalement y être tant cette fois l’économie de moyens à l’écran est flagrante.

Pas de costumes, un décor unique, une sobriété continue jusque dans la rare mais jolie musique. Preuve est ainsi faite que son propos comme sa mise en scène se passent de l’artifice. On retrouve son humour décalé jusqu’à la gêne - quand ce n’est pas franchement l’angoisse, et sous l’absurde des situations parfois un peu nébuleuses sourd une profonde mélancolie.

Il n’est pas interdit de voir dans ce « Yannick » le plus beau film de Quentin Dupieux à ce jour. La vie est terrifiante et ne vaut rien sans art ni amour, ou du moins sans la possibilité de l’exprimer au-dehors de soi.

Sébastien Bourdon

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