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« Le Mal n’existe Pas » de Ryūsuke Hamaguchi

dimanche 14 avril 2024, par Sébastien Bourdon

The Evil Eye

Rarement film n’aura tenu d’abord à autant planter le décor. Telle la hache de Takumi (Hitoshi Omika) qui s’enfonce implacablement, mais presque paisiblement dans les bûches, le réalisateur expose d’abord longuement un lieu et ceux qui l’habitent : Mizubiki, village de montagne à deux heures de Tokyo.

Takumi va chercher de l’eau à la rivière, trouve du wasabi sauvage pour son ami cuisinier, arpente les bois avec sa fille en nommant chaque arbre, veuf calme (mais pas forcément apaisé) comme fondu en un lieu hostile… il fait froid, la neige est éparse, et dans l’effort, on souffle une fumée où se mélange le tabac et la vapeur.

Ce n’est pas une œuvre limpide, si ce n’est esthétiquement. Nous est contée une sourde menace, la possibilité de la perte d’un lieu ou d’un être. Les signes existent, car si le mal n’existe pas, le Diable se cache dans les détails : le squelette d’un faon, le claquement soudain des fusils de chasse, un arbuste aux branches coupantes comme une lame.

La menace la plus évidente s’incarne très vite lors de la présentation aux habitants de ces lieux presque vierges d’un projet de « glamping » - contraction grotesque de « camping » et « glamour ». Les deux communicants envoyés pour l’occasion sont aussi ignorants que l’on puisse l’être et ne sont là que pour une poudre aux yeux qui n’aveugle pas les locaux.

Si l’on peut saluer ce moment de réalisme contemporain illustrant par quel invariable mouvement on arrive partout à détruire l’existant pour le remplacer par du médiocre dangereux, le film prend toutefois très vite la tangente.

Par des moyens subtils, il va d’abord chercher l’humanité chez les protagonistes, et ne rejette finalement personne. « Sur cette Terre, il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons » semble susurrer au creux des bois glacés japonais le fantôme de Jean Renoir (« La Règle du Jeu » - 1939).

La suite va creuser un filon entre western et réalisme fantastique, interrogeant le vivant, homme ou animal, sans aucun manichéisme et prenant le parti de l’énigme, de l’ellipse et de la ligne de fuite.

La musique écrite pour et avec le film revient inlassablement nous accompagner sur les lieux, puis s’interrompt brusquement, mais sans forcément révéler ce qui se trame, la compositrice Eiko Ishibashi comme le réalisateur Ryūsuke Hamaguchi se refusant au démonstratif.

Proposition de cinéma intrigante et personnelle, le film vous laisse à son issue pantois et interloqué, subjugué par le mystère d’une création très loin du tout-venant cinématographique.

Sébastien Bourdon

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