Accueil > Francais > Cinéma > « Pauvres Créatures » de Yòrgos Lànthimos

« Pauvres Créatures » de Yòrgos Lànthimos

lundi 19 février 2024, par Sébastien Bourdon

Au bout du Conte

À Londres, en un temps vaguement reculé, Bella (Emma Stone) est le fruit ressuscité de ses entrailles. Cela peut sembler concept complexe, mais elle fut un jour une jeune suicidée enceinte, à laquelle le Docteur Godwin Baxter (Willem Dafoe, couturé comme la créature du Docteur Frankenstein) greffa le cerveau de son fœtus pour redonner vie à l’ensemble.

À l’arrivée, cela donne une ravissante jeune femme avec le développement intellectuel, mais en constante progression, d’un tout petit enfant. Enfermée dans la belle demeure de son re-géniteur - qu’elle appelle « God », Bella coule des jours paisibles, dans une liberté toute relative, puisqu’elle ne peut sortir. Elle a son petit caractère, et bien sûr, un beau jour, elle prend la poudre d’escampette avec un avocat bonimenteur de passage, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo), qui va l’emmener à Lisbonne, et au-delà.

En effet, Bella, avec une candeur aussi décidée qu’enthousiaste, a décidé de s’intéresser plus particulièrement à ses appétits charnels. C’est de sa fraîche découverte de la sensualité que va user ce filou pour l’entraîner à sa suite (évidemment, le loup y laissera ses crocs).

Dans ce qu’il faut bien appeler un conte philosophique - le film en ayant les mérites comme les atours - la quête du plaisir rejoint celle de la connaissance. Bella va, en parcourant le monde et ses désirs, expérimenter et en tirer une forme de sagesse, quand bien même son idéalisme en sera quelque peu défait.

Il semble que beaucoup tiennent à faire une lecture idéologique contemporaine de ce film brillant et drôle. S’agit-il d’une œuvre féministe ? Probablement, puisque l’héroïne est une femme qui décide, en prenant le large, de découvrir son corps et l’univers, et en ne se refusant pas à certaines expériences jusqu’au-boutistes pour cela.

Toutefois, chaque fois qu’elle n’est plus d’accord ou a fait le tour de la question, elle claque la porte pour un ailleurs à elle-même inconnu, car nul ne saurait l’enfermer. C’est finalement une leçon de choses pour tout être humain - et pas seulement féminin - que de considérer qu’il faut toujours expérimenter et savoir mettre fin à ce qui vous trahit.

Pour emballer visuellement ce conte, le réalisateur Yòrgos Lànthimos fait preuve d’une imagination et d’une virtuosité irrésistibles. Le film commence comme une fable gothique en noir et blanc, pour se poursuivre dans une débauche de couleurs. Les villes arpentées sont reconstituées comme elles pourraient l’être en songe : circulaires et réduites à des représentations symboliques, comme dans une boule à neige.

On y est donc sans y être, de Lisbonne à Paris, en passant par Alexandrie, faisant de nous des spectateurs pas moins enchantés que Bella de ce monde coloré et toujours à découvrir, si dérisoire soit-il.

Et puis, il y a bien longtemps qu’on ne nous avait pas parlé de cul au cinéma de manière aussi ludique et décontractée , ce qui n’est pas le moindre des mérites de cette œuvre singulière.

Sébastien Bourdon