Accueil > Francais > Cinéma > Sophie Calle « A toi de faire, ma Mignonne » Musée Picasso - « Viva Varda (...)

Sophie Calle « A toi de faire, ma Mignonne » Musée Picasso - « Viva Varda » Cinémathèque

vendredi 5 janvier 2024, par Sébastien Bourdon

Être une femme libérée (c’est pas si facile)

Hasards de la programmation parisienne, deux expositions sont consacrées à des figures féminines d’influence culturelle d’importance, si ce n’est majeure : Sophie Calle en lieu et place de Picasso à l’hôtel Salé, et Agnès Varda, bien à sa place, à la Cinémathèque.

Chacune des deux a cultivé à sa manière une œuvre protéiforme, où l’image, immobile ou en mouvement, a toujours joué un grand rôle. L’artiste Sophie, comme la cinéaste Agnès, photographie et filme beaucoup, mettant en scène ce qu’elle veut exprimer, sans que cela prenne forme d’un film au sens où on l’entend le plus souvent.

Mais au final, Calle se révèle plus écrivaine imaginative que purement plasticienne. Les mots ont une place extrêmement importante dans tout ce qu’elle fait, complétant son travail des sujets et des matières. Principal objet egocentré de son art, Sophie se révèle toujours espiègle sous la gravité, lucide d’elle-même et de la finitude des choses.

L’exposition « À toi de faire, ma mignonne » a tout de la rétrospective ouverte, ça ne sent jamais le sapin, quoi qu’elle semble le glisser, ayant atteint l’âge canonique de 70 ans, sans héritiers connus.

Elle évoque tout au long du parcours, Picasso - forcément, mais aussi toutes sortes de disparitions, celle de la vue comme la mort des parents et amis. Elle questionne la présence des objets inanimés (avez-vous une âme ?) que l’on accumule dans une vie. Enfin dans cette synthèse de son œuvre elle fait art de ses nombreux projets inachevés.

Longue exposition souvent ludique et parfois grave, on en sort requinqué par la vivacité intacte de cette figure toujours vive de l’art contemporain.

Puisque c’est en cet exact état que la mort l’a saisie, petite dame rondouillarde, souriante aux cheveux bicolores, on a tendance à résumer Agnès Varda à cette image. Ce serait oublier la force de caractère et la détermination qu’il a fallu à cette pionnière de la Nouvelle Vague pour poursuivre sans relâche sa voie, en dehors ou du moins à côté du système.

Suivant toujours son instinct et ses envies, filmant à côté de chez elle quand elle ne pouvait faire autrement pour cause de maternité (« Daguerréotypes ») ou au lointain si son histoire personnelle ou les vents de l’époque l’y portaient (Los Angeles pour « Documenteur » ou Cuba pour « Salut les Cubains » etc.).

Intégrant sa fantaisie, sa réflexion, son audace formelle à tout ce qu’elle faisait, elle mélangeait les styles, produisant un cinéma hybride (parfois fatiguant, reconnaissons le - « Lions Love ») et toujours renouvelé. Cette liberté lui a permis de rester presque toujours dans le coup, et même de renouer régulièrement avec le succès critique et public (« Cleo de 5 à 7 », « Sans Toit ni Loi » etc.).

Le parcours de l’exposition « Viva Varda », habile et bien agencé, se clôt sur les questions pertinentes de la place des femmes dans l’industrie du cinéma. Féministe évidemment, Varda aura beaucoup milité et avec une efficacité mondialement reconnue pour que soit laissée une place légitime aux femmes dans l’industrie du spectacle (et pas seulement aux actrices de moins de quarante ans).

Sophie Calle partagerait probablement son point de vue, mais cette question semble en suspens dans son œuvre. Elle apparaît comme s’étant toujours imposée, faisant de son ego une arme massive allant au-delà de la question du genre.

Au final ce qui reste en commun surtout, c’est la fantaisie, la drôlerie envers et contre tout.

En sortant d’une salle de l’hôtel Salé, j’ai manqué me cogner contre Sophie Calle, circulant à moitié incognito dans sa propre expo (et accompagnée de Muriel Pénicaud, ex ministre du travail de Macron, étonnant non ?). Agnès Varda n’étant plus de ce monde, l’incident ne risquait pas de se produire à la Cinémathèque, n’empêche que c’était comme si elle y était.

Sébastien Bourdon