« Reality » de Tina Satter

C’est un film dont il ne faut idéalement ne rien savoir avant de le voir. On va donc ici faire un effort et ne point trop en dire.

L’histoire est vraie et d’autant plus réaliste que les dialogues seraient la reproduction exacte des propos qu’ont échangé les protagonistes. En effet, s’agissant d’une interpellation à domicile menée par le FBI, tout était enregistré.

Un clou chassant l’autre, l’affaire Reality Winner nous avait échappé ou bien a été oubliée, noyée dans le flot continuel d’informations.

Nous sommes en mai 2017, Reality (Sydney Sweeney) rentre chez elle, après avoir fait ses courses. A peine garée, deux types patibulaires (mais presque) cognent à sa vitre et nous comprenons vite qu’ils ne sont pas là pour lui compter fleurette.

Le film est à l’origine une pièce de théâtre de la même réalisatrice, faisant ici matière cinématographique de son travail de mise en scène : unité de temps (à peine quelques heures ramassées en 82 minutes), de lieu (la petite maison de Reality, comme mille autres dans une banlieue résidentielle de Géorgie) et d’action (l’arrestation).

On compte également deux actes, le premier étant probablement le plus réussi, et en tout cas le plus fascinant. Sans esbroufe, tout se conjugue pour donner une impression tenace d’étrangeté, voire d’inquiétude. On ne nous a pas présenté les personnages, nous sommes immédiatement plongés dans une urgence qui s’éternise. Qui est Reality, que lui reproche-y-on, pourquoi les choses semblent graves et pourtant dédramatisées par les agents ?

Reality reste flegmatique, mais il est impossible de ne pas imaginer et ressentir son bouillonnement intérieur. Ce dernier se traduit par le son, quelques effets à l’image, de soudaines mais courtes accélérations, mais par petites touches. Cela pourrait être un banal film policier, mais on se sent presque chez David Lynch.

La deuxième partie est plus classique et se rapproche plus d’une interrogation pertinente sur le fonctionnement de la démocratie américaine. Ça n’est pas sans intérêt et si la manière de filmer conserve son originalité, ce n’est plus tout à fait le même film. Le tout fait en tout cas une œuvre singulière et passionnante.

Sébastien Bourdon