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Love Poem

"Paterson" de Jim Jarmusch

dimanche 8 janvier 2017, par Sébastien Bourdon

« Paterson » de Jim Jarmusch

C’est l’histoire d’un type qui s’appelle Paterson, qui vit dans la ville de Paterson (New Jersey), cité dans laquelle il exerce sereinement les nobles fonctions de chauffeur de bus.

De cette activité, qu’il exerce de manière contemplative mais attentive, il tire la substance de poèmes en prose qui alimentent un petit cahier, ainsi rempli de son écriture fine et serrée. Ses journées passées derrière le volant, mais aussi ses promenades avec son chien, ou ses sorties dans le bar du coin pour une bière fraîche, tout cela lui fournit indirectement matière à écrire.

Il s’abreuve de la lumière et de ceux qui la traversent, de ces rencontres de jour comme de nuit, pour coucher sur le papier des pensées fugitives, qu’il retravaille jusqu’à leur donner forme et cohérence.

L’autre jour, j’entendais sur les ondes radiophoniques quelque chose comme « écrire, c’est voler au temps ». Ce sont très logiquement les maigres espaces, les interstices temporels dans lesquelles le conducteur du bus se glisse pour coucher ses petits textes à la grâce indéniable.

A l’instar du personnage, au rythme de vie bien réglé et paisible, le film fait l’éloge de la lenteur. Il s’étire tranquillement sur près de deux heures, dans une douce langueur que l’on finit par épouser (si les rigueurs de l’hiver ne vous poussent point trop à l’assoupissement dans la chaleur de la salle).

La grâce est partout, il suffit de la saisir, semble vouloir nous dire Jim Jarmusch. Il va de soi qu’un tel credo ne s’énonce pas en hurlant, ni et surtout frénétiquement. Le film prend le rythme de ce qu’il a à dire, dans une parfaite adéquation à son message.

Adam Driver, décidément comédien touche à tout, puisque vu aussi bien dans « Star Wars » que chez Jeff Nichols ou Noah Baumbach, prête son physique à ce personnage attachant et lunatique. Avec la bonhomie de sa carcasse, l’étrangeté de son visage discrètement expressif, l’acteur nous fait parfaitement ressentir cette capacité à être silencieusement présent au monde, sans se laisser déborder par ses excès, du moins, autant que faire se peut. Il suffit en effet parfois d’un rien pour soudainement lui laisser l’impression d’un sol qui se dérobe.

Mais le film se refuse à aller sur le terrain de l’emballement ou de la chute, se contentant d’afficher un rejet permanent de la brutalité pour une poésie paisible, à l’image d’une vie fort bien réglée.

Paterson fait donc diverses rencontres, Jarmusch brillant une fois de plus en indéniable créateur de saynètes habitées par des personnages hauts en couleurs. On croise notamment le rappeur Method Man du Wu Tang Clan, ou les deux jeunes acteurs Kara Hayward et Jared Gilman qui habitèrent si gracieusement le délicieux « Moonrise Kingdom  » de Wes Anderson (2012) et qui devisent ici d’un anarchiste italien.

Un amoureux désespéré (William Jackson Harper) réapparaît quant à lui plusieurs fois, et il faut saluer l’empathie du réalisateur pour un si terrible chagrin, traité avec drôlerie et délicatesse.

Seul léger agacement, celui provoqué par l’épouse de Paterson, interprétée par Goldshifteh Farahani, qui campe une jeune fille désoeuvrée des temps modernes, se rêvant, selon les jours, fabricante de cupcakes ou guitariste de country. Cette indécision contemporaine, mêlée à une candeur frisant la bêtise, finit par agacer quelque peu.

A part cela, il semble difficile de trouver à redire à une œuvre aussi fondamentalement paisible, qui ne veut surtout de mal à personne et qui propose, du New Jersey à Osaka, de laisser couler les jours de manière contemplative, sans jamais se laisser dévorer par les voracités de l’existence.

Sébastien

Messages

  • Ces calmes et sereins patersoniens ont également le goût du cinéma : il vont voir L’Ile du docteur Moreau (1932), avec Charles Laughton : « C’est si beau le noir et blanc, on croirait vivre au XXe siècle », s’exclame alors l’intrigante fiancée du héros (Elle ira ensuite cuisiner des cupkakes en noir et blanc). Les plans où les personnages se réveillent (7 au total) sont magnifiques.

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