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« Les Filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania

dimanche 16 juillet 2023, par Sébastien Bourdon

Virgin Suicides

Tout est vrai, mais tout est mis en scène puisqu’il s’agit de raconter a posteriori la vie d’Olfa et de ses quatre filles. Une histoire de malédiction dirait la principale protagoniste, et on l’apprend dès l’ouverture, les deux aînées ont été « dévorées par le loup ».

Ce qui passionne immédiatement dans cette œuvre hybride, c’est son dispositif : c’est un documentaire puisque les principales concernées sont à l’écran (à l’exception des deux disparues, incarnées par des actrices) mais c’est aussi un film, Olfa n’étant pas seulement narratrice mais également interprétée par une vedette des écrans tunisiens, Hend Sabri (« pour les scènes les plus difficiles »).

Mais la mère courage ne s’en laisse pas compter et intervient sans cesse sur le tournage. Or n’a été retenu au montage que ce travail en cours, ce réel qui ne se laisse pas déborder par une réécriture qui le trahirait. Et finalement, la spontanéité de ce qui nous est montré à l’écran ressemble aux répétitions d’une pièce de théâtre.

Répétition, c’est peut-être exactement ce dont il s’agit : on rejoue des événements vécus en s’interrogeant sur la manière la plus fidèle de les restituer. Mais ce que l’on raconte n’est également rien d’autre que la répétition séculaire de comportements absurdes, la reproduction invariable d’un système d’oppression niant les êtres et leurs naturelles pulsions, les poussant nécessairement au mensonge et au crime.

Ne point trop en dire de l’histoire toutefois, si ce n’est qu’Olfa a eu son quart d’heure de gloire tunisien avec son parcours de femme célibataire n’ayant jamais pu empêcher la fuite de ses deux aînées vers l’état islamique, et ayant choisi de s’exprimer publiquement sur ce drame.

Comment en est-on arrivé là, le film prend le temps de nous l’expliquer. Olfa, femme de ménage d’extraction modeste, entre la dictature de Ben Ali et le bordel post printemps arabe, s’est surtout préoccupée de tenter d’élever sa progéniture. Elle s’est révélée incapable dans ce cadre de ne pas reproduire les schémas patriarcaux ancestraux, mais paradoxalement dans un monde où les hommes sont surtout absents (et repoussés le plus possible tant ils sont potentiellement dangereux). Chassez le naturel, il revient au galop, quelque soit le cavalier.

Cette perpétuation de la violence en milieu éducatif amène à des situations de rébellion paradoxale : si le gothique ne fait pas le job, essayons le niqab comme moyen de résistance à l’oppression antédiluvienne. Évidemment se dissimuler des regards pour affirmer son enfermement idéologique mortifère ne saurait que contribuer au malheur du monde.

Spectateurs, nous comprenons que tout est déjà écrit, reste à découvrir l’ampleur du désastre, sidéré qu’à l’écran tant de grâce féminine n’ait pu l’empêcher et même, peut-être, l’ait accéléré.

Toutefois, et c’est éventuellement là tout le sujet, les deux plus jeunes sœurs, brisées mais lumineuses, sont peut-être celles par qui le sort sera enfin rompu.

Sébastien Bourdon

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