Mick Jagger, un intellectuel

Les Stones ont sorti un nouvel album vendredi, « Hackney Diamonds », 18 ans après le précédent, « A Bigger Bang », qui n’avait pas laissé un souvenir impérissable. On ne l’attendait donc pas forcément ce disque, et après première écoute, on aurait pu continuer à vivre sans, si plaisant soit-il.

A se le passer sur la platine, cela donne une impression de derniers feux d’un monde qui ne se sera pas contenté de brûler ses ailes, mais d’incendier joyeusement la planète. Un monde de jets privés, de limousines, de tabac, de drogue, de filles faciles (ou en tout cas, on n’a pas recueilli leur consentement écrit).

Il existe un film de toute cette débauche, « Cocksucker Blues » (Robert Frank, documentaire sans filtre de la tournée américaine de 1972), las, très difficile à voir, les protagonistes ayant pris soin qu’il ne sorte jamais.

Premiers des sauvages, derniers des consuméristes, c’est leur faire un mauvais procès que d’oublier qu’on n’aurait pas agi différemment et que grâce à eux, ce joyeux bordel, on y a un peu participé, ne serait-ce que par procuration.

Mick Jagger s’est fait interviewer dans un français subtilement précaire par Rebecca Manzoni, et à écouter ce sémillant octogénaire, on a réalisé que ce type est passé de la jeunesse rebelle à la vieillesse établie, devenant au passage l’archétype même de la fine fleur de la culture occidentale (ne fut-il pas récemment reçu à dîner à Versailles à l’occasion du passage français du Roi d’Angleterre ?).

Il faut ainsi l’entendre évoquer sa découverte fondatrice du blues, sa lecture de Baudelaire dans les deux langues et sa passion pour Boulgakhov (« Le Maître et Marguerite »). Et se dire qu’il n’est finalement peut-être pas rentré dans le rang, mais plutôt qu’il l’a étendu et transformé. C’est pas si mal comme œuvre d’une vie, même si écouter les Stones ne risque plus aujourd’hui de fâcher les parents, mais plutôt de saouler les enfants…

Sébastien Bourdon