« Les Feuilles Mortes » d’Aki Kaurismäki

Comment arrive-t-on a exprimer tant de choses en jouant comme en-dessous des événements qui se produisent à l’écran ? C’est le petit miracle aussi renouvelé que maîtrisé des films d’Aki Kaurismäki.

C’est en effet toujours un spectacle fascinant que de contempler son petit théâtre tragi-comique en sourdine, comme si du décor au personnage tout était à l’unisson pour ne point prendre avec trop d’éclats la sinistralité dramatique de l’existence.

Personne ne s’énerve violemment, personne ne rit fort, on cause peu mais précis, on est clairement plus en Finlande qu’en Italie. Et de cette rigidité esthétique fondatrice apparente la vie jaillit sans cesse. C’est tout juste si on comprend comment et pourquoi l’émotion nous assaille si efficacement.

Une torpeur intense, si une telle chose existe.

Sur fond de guerre lointaine en Ukraine, paroxysme d’un capitalisme impitoyable, un homme trop porté sur la bouteille (Jussi Vatanen) et une femme bien ancrée dans sa solitude (Alma Pöysti) se rencontrent et se plaisent. A la vie de faciliter les choses - spoiler : elle n’est pas là pour ça - et à eux d’y remédier - spoiler bis : ils ne sont pas forcément doués pour la vie, et lui tout particulièrement.

C’est un chemin de souffrance et de grâce qui s’ouvre alors devant eux, et maladroitement ils l’empruntent, avec quelques mélodies parfaitement choisies pour les accompagner.

Le film cite et emprunte beaucoup au 7ème Art : ne serait-ce que parce que le début de la joie, dans le film comme dans la vie, c’est d’aller au cinéma à deux. On repère ainsi des affiches de Visconti, Huston ou Bresson et le couple balbutiant va voir un film de Jim Jarmusch.

En réalité, c’est dans le nom du chien qu’il faut trouver la référence ultime de l’œuvre : Chaplin. Parce que les gens qui tombent et qui obstinément se redressent encore et toujours, c’est beau, c’est émouvant et c’est même parfois drôle.

Sébastien Bourdon