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« Gainsbourg (vie héroïque) » de Joann Sfar

mardi 9 février 2010, par Sébastien Bourdon

Un Incendie du Cœur

Un film de Joann Sfar sur Gainsbourg. La BD rencontre la chanson, deux formes d’art considérées comme mineures. Gainsbourg lui-même peintre frustré, qualifiait sa production d’art mineur, ce qui lui a valu une scène de Guy Béart (archives de l’INA ?). Bref. Cette rencontre au sommet donne hélas, un film mineur. Mais j’y reviendrai plus loin, car la soirée fut quand même riche. Et le film pas indigne.

Préalablement à la séance, l’espace 1789 de notre bonne ville de Saint-Ouen, plein comme un œuf (euh, avant c’était ma salle à moi, que font tous ces gens à s’immiscer ?) accueillait le comédien Serge Elmosnino, interprète de Gainsbourg à l’écran, et Serge Teyssot-Gay (guitare) pour une lecture en musique des poèmes de Vladimir Maïakovski.

Ainsi avant même de surgir à l’écran, le comédien, dépourvu là des oripeaux de Gainsbourg, nous faisait montre de son talent et de sa singulière présence scénique. Il fut admirablement épaulé par Teyssot-Gay. Ce dernier, vague portant le vaisseau de mots de l’acteur, fit encore une fois preuve sur scène de son audace, de sa musicalité et de son talent. A sa seule façon de se mouvoir avec sa guitare, l’on comprend qu’il en a fait une extension de lui, intégralement, et c’est franchement passionnant.

Ensuite, le film. Qu’est-ce que ça donne un auteur de BD - talentueux et prolixe -planté derrière une caméra avec un beau budget ? Tout et pas grand-chose, sans qu’on sache bien déterminer au final ce qui l’emporte de ces deux constats. Le dessinateur a ainsi de vrais éclairs de génie en transposant sur pellicule des idées de papier : reprenant la célèbre thématique Gainsbourg / Gainsbarre, il l’incarne en joignant à Serge une « grande gueule » de carton qui se transforme avec l’âge adulte en un personnage comme surgi de ses albums (Petit et Grand Vampire, directement inspirés du Nosferatu de Murnau). Hélas, le procédé, séduisant et féérique au début, perd un peu de son charme avec la systématisation.

Gainsbourg était obnubilé par les femmes, érotomane amoureux qu’il était et cet angle est primordial dans le film. Gainsbourg, vie érotique, avec un défilé de créatures sublimes, les connues (Laetitia Casta en Bardot), comme les inconnues (Ophelia Kolb !).

Si les femmes sont extrêmement désirables, elles n’en sont pas moins à même de briser le cœur d’artichaut de l’homme à la tête de chou. Et lorsque Gainsbourg pleure, il redevient ce petit garçon fasciné par les filles sur la plage, inaccessibles étoiles. « Il se sentit petit garçon et très loin du bonheur » Colette in « Le blé en herbe  ». Je cite de mémoire, mais il me semble avoir également repris cette phrase sur une page de mon désespoir adolescent à laquelle certaines scènes du film m’ont ramené.

Elmosnino est impressionnant. Aussi attachant et exaspérant que l’était Gainsbourg, sans le caricaturer, sans le surjouer. Si Gainsbourg était le héros d’un conte, ce serait lui, ce qui tombe bien car c’est l’exact projet du film.

Mais lorsqu’il chante du Gainsbourg, c’est moins bien et c’est là aussi une faiblesse indiscutable du film. Si talentueux que puissent être les interprètes, les chansons de Gainsbourg sont bien plus intenses lorsque c’est lui qui les chante. Leur retranscription fidèle par un autre que lui donne un résultat bâtard et frustrant.

L’autre défaut vient de la distribution. Le casting de prestige tue un peu le film pour le faire parfois ressembler à une série de numéros de bravoure plus ou moins attendus (Yolande Moreau en Fréhel, Philippe Katerine en Vian, Sara Forestier en France Gall - hilarante, Anna Mouglalis en Greco, Chabrol en producteur, et j’en passe), on se croirait au music-hall. Le fil rouge Elmosnino rattrape un peu cette impression, mais lui-même soumis aux changements physiques successifs de Gainsbourg, il devient également victime de ce découpage.

Mais le film a le mérite de nous rappeler Gainsbourg, personnalité exceptionnelle, artiste brillant. Français survivant, porteur enfant de l’étoile jaune : « ce n’est pas la mienne, c’est la vôtre puisque c’est vous qui voulez que je la porte ». Lorsque, face aux parachutistes venus le chahuter, il chante la Marseillaise avant de leur faire un bras d’honneur, il rappelle qu’être français, c’est être révolutionnaire et insoumis. Beau moment, belle scène.

Là-dedans qu’est devenu l’un de mes auteurs de BD préférés, Joann Sfar ? Même lorsqu’il est long en album, il n’est jamais ennuyeux, alors que son film se traîne quand même un peu. Il a eu beaucoup d’argent pour le faire, plein de beaux jouets et on sent quand même que sous l’apparente modestie, le garçon est content de lui. Je l’ai croisé il y a des années au rayon frais d’un supermarché de l’avenue de Clichy, il était surpris que je le reconnaisse, on a bavardé. Cela se reproduirait il aujourd’hui ?

Sébastien Bourdon

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