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Quitter les phénomènes - à la mémoire de ShoZa

samedi 17 août 2019, par Sébastien Bourdon

ShoZa a surgi dans ma vie il y a une bonne dizaine d’années, comme prescription médicale pour des problèmes récurrents de dos (forcément). Après bien des cours dispensés - par lui, et consentis - par moi, il m’a tiré d’affaire. On n’est jamais sûr de rien ceci dit, car comme il le répétait souvent lui-même : « tout est mujo, impermanent ».

ShoZa était un homme extrêmement discret. Ce n’est que rarement qu’il s’ouvrait de choses personnelles, et par petites touches ponctuelles. Nous concernant, peu de mots lui suffisaient, il semblait en effet lire en nous dans nos gestes, dans les postures de notre carcasse, adaptant ainsi ses cours aux corps fatigués, comme aux âmes meurtries.

Ces séances hebdomadaires avec lui ont toujours constitué une respiration, un moment où l’on pouvait tout poser et s’oublier un peu dans la respiration, la concentration et l’effort, galvanisés par sa belle voix grave.

On le quittait moulus, crevés, mais pour quelques temps un petit peu plus grands, un petit peu plus forts.

Moine zen, il n’encombrait pourtant pas son enseignement de lourdeurs idéologiques ou prosélytes. On riait énormément avec lui, même pendant les cours, jusqu’à des fous rires que lui-même ne parvenait pas à maîtriser.

Nous avions aussi pour tradition de parler beaucoup cinéma, des derniers films vus et il repartait souvent avec mes chroniques que je lui imprimais comme lecture pour ses déjeuners solitaires.
ShoZa était tellement discret qu’il disparaissait parfois, nous faisant d’étranges faux bonds (mais nos propres occupations nous ont parfois fait annuler nos précieuses séances, ce qui pouvait a contrario l’agacer un peu). On l’imaginait mieux occupé ailleurs mais en réalité il réapparaissait vite.

Sur ses conseils, on pouvait lui faire des infidélités, et prendre des cours collectifs auprès d’autres enseignants. On réalisait combien il nous avait appris et la confiance qu’il nous donnait. Le yoga comme espace à soi, comme effort sur soi-même et surtout pas comme compétition.

Lorsqu’il a annulé plusieurs leçons pour raisons de santé au début du mois de mai, je me suis inquiété mais je me suis dit qu’un tel athlète allait bien finir par repasser la porte pour poursuivre l’aventure.

En juillet, il m’a écrit que l’énergie revenait, diminuant un peu mon anxiété grandissante. Il a été trop optimiste et mes derniers messages sont ainsi restés sans réponse jusqu’à la tragique nouvelle du début du mois d’août.

Je pense à son fils qui faisait sa joie et qu’il évoquait souvent, à sa femme que nous avions eu le plaisir de rencontrer, et à tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer.

Il manquera, c’était un homme réellement étonnant et terriblement attachant, si discret, parfois jusqu’à l’esquive, ait-il pu être.

Sébastien Bourdon

« Toutes les conditions sont évanescentes,
leur nature est d’apparaître et de disparaître ;
ayant surgi elles s’évanouissent
Ce calme, cette cessation, là est le véritable bonheur.
 »

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